vendredi 20 février 2015

Liban : La croisade d'un ministre contre la corruption

Au Liban, pays parmi les plus corrompus dans le monde, un ministre brise les tabous en menant une opération coup de poing inédite contre ce phénomène endémique qui gangrène impunément société et Etat.
Des rats dans les silos à céréales, de la viande avariée dans les restaurants: depuis quatre mois, pas un jour ne passe sans que les Libanais n'entendent parler de la fermeture d'une boucherie ou de la saisie de produits périmés.
"On vit sur une montagne de corruption: plus on creuse, plus on découvre des scandales", affirme le ministre de la Santé Waël Abou Faour dans un entretien à l'AFP.
Ce jeune ministre de 42 ans est devenu la star des médias avec ses "listes de la honte" de restaurants et supermarchés, alors que des hommes d'affaires étaient arrêtés et plusieurs centaines d'institutions épinglées.
Son style choc est du jamais vu dans un pays classé en 2014 comme le 39e pays le plus corrompu au monde par Transparency International et où le coût des pots-de-vin et malversations représente 15% du PIB, soit six milliards de dollars selon des chiffres non officiels.
"On a fermé l'oeil pendant longtemps. Les hommes d'affaires, souvent protégés par un homme politique, pensaient qu'ils étaient intouchables et que personne n'oserait leur demander des comptes", souligne M. Abou Faour.
Dans sa ligne de mire, le secteur de la santé, gangréné par "le plus grand réseau de corruption dans le pays" et où 25 à 30% du budget de plus de 300 millions de dollars alloués aux hôpitaux sont "subtilisés".
Il raconte comment trois hôpitaux empochaient des centaines de millions de livres libanaises au nom de patients morts. "Il y avait un 'mort' qui faisait de la physiothérapie dans les trois hôpitaux à la fois!" s'indigne-t-il, indiquant que cinq médecins ont été arrêtés.
La corruption s'est banalisée au Liban avec l'effondrement des institutions étatiques durant la guerre civile (1975-1990) et des pénuries quotidiennes d'électricité et d'eau, devenant un "mal nécessaire" pour obtenir un permis de voiture ou un prix foncier alléchant.
Lors de la sécheresse en 2014, "90% des distributeurs d'eau à domicile n'avaient pas de licence (...) ils volaient l'eau de l'Etat", affirme M. Faour. L'impunité est si répandue que les contrevenants sont allés jusqu'à protester dans la rue.
Et au royaume du tourisme esthétique, des "instituts de beauté gérés par des non-professionnels ont poussé comme des champignons. Nous avons décidé d'en fermer 80% après des plaintes de personnes défigurées", indique Abou Faour.
Le ministre veut signaler que le temps de l'impunité est révolu. Il a ainsi renvoyé en janvier devant la justice l'affaire d'un faux médicament anti-cancer, dont les promoteurs étaient sortis de prison grâce à des appuis politiques selon lui.
Son collègue des Finances, Ali Hassan Khalil, a récemment révélé que la corruption des douanes coûtait plus de 1,2 milliard de dollars par an. Il a cité l'exemple de 19 tonnes de crevettes périmées qui sont apparues sur le marché alors qu'elles étaient saisies dans un entrepôt scellé.
Protégé du leader druze Walid Joumblatt, à qui on reproche lui-même de mêler affaires et politique, M. Bou Faour a été accusé, même parmi ses collègues, de "cirque médiatique" et de "terrorisme" contre la célèbre gastronomie libanaise.
Dans la rue et sur les réseaux sociaux, beaucoup l'ont remercié tandis que d'autres le qualifiaient de "diffamateur de restaurants".
Selon un sondage de Transparency international en 2013, 71% des Libanais considèrent la corruption comme un "sérieux problème". Mais, paradoxalement, une étude de l'ONG anti-corruption "Sakker El Dekkene" (Fermez la boutique) révèle que plus de 50% avouent être prêts à donner une enveloppe à un fonctionnaire.
L'ONG a créé une application sur iphone permettant aux Libanais de rapporter des cas de pots-de-vin dans les administrations.
Carole Alsharabati, sa vice-présidente, se félicite que "les choses commencent à bouger" mais demande à aller "au-delà des coups de communication" car pour le moment, "il y a plus de corruption et de moins en moins de gens punis par la justice".
Après l'approbation d'une loi sur la sécurité alimentaire, M. Abou Faour veut créer avec le ministère de la Justice un parquet pour les questions sanitaires. Il a automatisé le système d'audit des factures d'hôpitaux, dont seuls 10% étaient vérifiées auparavant.

(19-02-2015)

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