Au Liban, pays parmi les plus corrompus dans le monde, un ministre brise
les tabous en menant une opération coup de poing inédite contre ce
phénomène endémique qui gangrène impunément société et Etat.
Des rats dans les silos à céréales, de la viande avariée dans les
restaurants: depuis quatre mois, pas un jour ne passe sans que les
Libanais n'entendent parler de la fermeture d'une boucherie ou de la
saisie de produits périmés.
"On vit sur une montagne de corruption: plus on creuse, plus on découvre
des scandales", affirme le ministre de la Santé Waël Abou Faour dans un
entretien à l'AFP.
Ce jeune ministre de 42 ans est devenu la star des médias avec ses
"listes de la honte" de restaurants et supermarchés, alors que des
hommes d'affaires étaient arrêtés et plusieurs centaines d'institutions
épinglées.
Son style choc est du jamais vu dans un pays classé en 2014 comme le 39e
pays le plus corrompu au monde par Transparency International et où le
coût des pots-de-vin et malversations représente 15% du PIB, soit six
milliards de dollars selon des chiffres non officiels.
"On a fermé l'oeil pendant longtemps. Les hommes d'affaires, souvent
protégés par un homme politique, pensaient qu'ils étaient intouchables
et que personne n'oserait leur demander des comptes", souligne M. Abou
Faour.
Dans sa ligne de mire, le secteur de la santé, gangréné par "le plus
grand réseau de corruption dans le pays" et où 25 à 30% du budget de
plus de 300 millions de dollars alloués aux hôpitaux sont "subtilisés".
Il raconte comment trois hôpitaux empochaient des centaines de millions
de livres libanaises au nom de patients morts. "Il y avait un 'mort' qui
faisait de la physiothérapie dans les trois hôpitaux à la fois!"
s'indigne-t-il, indiquant que cinq médecins ont été arrêtés.
La corruption s'est banalisée au Liban avec l'effondrement des
institutions étatiques durant la guerre civile (1975-1990) et des
pénuries quotidiennes d'électricité et d'eau, devenant un "mal
nécessaire" pour obtenir un permis de voiture ou un prix foncier
alléchant.
Lors de la sécheresse en 2014, "90% des distributeurs d'eau à domicile
n'avaient pas de licence (...) ils volaient l'eau de l'Etat", affirme M.
Faour. L'impunité est si répandue que les contrevenants sont allés
jusqu'à protester dans la rue.
Et au royaume du tourisme esthétique, des "instituts de beauté gérés par
des non-professionnels ont poussé comme des champignons. Nous avons
décidé d'en fermer 80% après des plaintes de personnes défigurées",
indique Abou Faour.
Le
ministre veut signaler que le temps de l'impunité est révolu. Il a
ainsi renvoyé en janvier devant la justice l'affaire d'un faux
médicament anti-cancer, dont les promoteurs étaient sortis de prison
grâce à des appuis politiques selon lui.
Son collègue des Finances, Ali Hassan Khalil, a récemment révélé que la
corruption des douanes coûtait plus de 1,2 milliard de dollars par an.
Il a cité l'exemple de 19 tonnes de crevettes périmées qui sont apparues
sur le marché alors qu'elles étaient saisies dans un entrepôt scellé.
Protégé du leader druze Walid Joumblatt, à qui on reproche lui-même de
mêler affaires et politique, M. Bou Faour a été accusé, même parmi ses
collègues, de "cirque médiatique" et de "terrorisme" contre la célèbre
gastronomie libanaise.
Dans la rue et sur les réseaux sociaux, beaucoup l'ont remercié tandis
que d'autres le qualifiaient de "diffamateur de restaurants".
Selon un sondage de Transparency international en 2013, 71% des Libanais
considèrent la corruption comme un "sérieux problème". Mais,
paradoxalement, une étude de l'ONG anti-corruption "Sakker El Dekkene"
(Fermez la boutique) révèle que plus de 50% avouent être prêts à donner
une enveloppe à un fonctionnaire.
L'ONG a créé une application sur iphone permettant aux Libanais de rapporter des cas de pots-de-vin dans les administrations.
Carole
Alsharabati, sa vice-présidente, se félicite que "les choses commencent
à bouger" mais demande à aller "au-delà des coups de communication" car
pour le moment, "il y a plus de corruption et de moins en moins de gens
punis par la justice".
Après l'approbation d'une loi sur la sécurité alimentaire, M. Abou Faour
veut créer avec le ministère de la Justice un parquet pour les
questions sanitaires. Il a automatisé le système d'audit des factures
d'hôpitaux, dont seuls 10% étaient vérifiées auparavant.
(19-02-2015)
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