Eric Rouleau, spécialiste reconnu du Proche-Orient et ex-collaborateur
du Monde, est mort mercredi 25 février à l'âge de 89 ans, à Uzès, dans
le Gard, a annoncé sa famille. Ecrivant régulièrement dans les colonnes
du Monde diplomatique, cet Egyptien « de naissance et de cœur », ainsi
qu'il se définissait lui-même en 2012 dans Dans les coulisses du
Proche-Orient, ses mémoires parus en 2012, était passé du journalisme à
la diplomatie.
Né au Caire en 1926, il avait dû s'exiler en France en 1951 et avait été
déchu de sa nationalité égyptienne. Devenu français, il a d'abord
travaillé pour l'Agence France-Presse (AFP) puis pour Le Monde, jusqu'en
1985. Il a ensuite été nommé ambassadeur en Tunisie puis en Turquie
sous la présidence de François Mitterrand, un de ses proches. Une
nomination qui avait fait des remous au Quai d'Orsay.
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Mort d’un Oriental : le journaliste et ambassadeur Eric Rouleau est mort à l’âge de 88 ans
Il y a des hommes qui vous font sentir petit. Ou qui vous poussent à
devenir plus grand. En tout cas, ils posent l’aune à laquelle un
journaliste doit se mesurer. Eric Rouleau était de ceux-là.
La première fois que je l’ai vu en 2003, je rentrais d’Irak, convaincu
d’avoir couvert une de ces guerres qui font les hommes. On plastronnait
"dans le métier, il y a les grands reporters et les petites
rapporteuses". L’expression que je lui apprenais l’avait fait rire. Lui
savait qu’il y a surtout ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent
rien. D’un ton placide et amusé, "Rouleau", comme l’appelaient ses
amis, avait cherché à savoir qui il avait en face de lui. Lui qui savait
que les guerres sont les bégaiements sanglants d’une humanité qui perd
la mémoire. Il se demandait peut-être simplement s’il devrait se
coltiner ma présence à son mariage.10 ans plus tard, il était à sa table
de travail, comme chaque matin, compilant les centaines de petits
carnets noircis d’une écriture fine et appliquée. Tout y était. Un
demi-siècle de soubresauts de cet orient compliqué.
Le "prince" connu des plus grands chefs d'États. Quand il racontait ses
reportages, Eric Rouleau vous parlait d’un monde disparu. D’abord celui
des reporters qui se comptent sur les doigts d’une main. Des
journalistes que l’on accueille en terrain de guerre comme des invités,
que l’on fait dormir sur des paillasses mais que l’on protège. De ces
révolutionnaires ou combattants devenus chefs d'Etats qui n’ont pas
oublié Rouleau. Ce monde qu’il s’était bâti et qui lui avait valu le
surnom du "prince" à la rédaction du Monde. "Quand tu arrives dans un
pays, tu descends dans le plus grand hotel, tu prends la suite
présidentielle et tu invites les ministres à venir diner pour qu’ils te
donnent des infos", m’expliquait-il en avalant des pistaches. Comment
lui dire que moi je courrais encore dans tous les sens… Il ne m’aurait
pas cru.
Nasser l’appelait quand il voulait parler à la France. Barzani, le
Kurde, comptait sur lui pour le sortir de l’anonymat. Kadhafi se faisait
sermonner par ce juif venu de Paris et le réinvitait quand même. Saddam
Hussein l’invitait pour prendre le pouls de la France. Les Iraniens
avaient trouvé un joueur d’échec capable de comprendre les méandres de
leur diplomatie. Mais surtout, Arafat était devenu son ami. À Paris, les
aveuglés d’Israël avait fait de Rouleau une fixation. Dans les kibboutz
de gauche en Israël, on faisait venir des traducteurs pour lire les
articles du journaliste français qui expliquait que les Palestiniens
avaient aussi droit à un État. Des articles d’une autre école. Des
phrases simples "sujet verbe complément" où le verbe faisait sens et
l’adverbe était l’ennemi. Autre temps, autres mœurs.
La Légion d'honneur, son plus beau pied de nez à la vie. De guerre en
guerre, Arafat avait trouvé refuge du Liban en Tunisie. François
Mitterrand, qui voulait alors avoir un canal direct avec l’OLP sans la
reconnaître pensa alors à Rouleau, qu’il lisait et écoutait. Un jour,
l’Elysée appelle pour demander s’il pouvait déjeuner avec le président.
On bloque une petite rue du 6ème arrondissement et là, après l’entrée,
le président rusé demande au journaliste avisé qui connaît tous les
Arabes s’il veut bien représenter la France à Tunis et être son
ambassadeur officieux auprès de l’OLP.
C’est ainsi que le petit pigiste du Caire qui voulait voir la Place de
l’étoile s’est retrouvé ambassadeur. Une des rares photos sur son bureau
le montre, recevant la Légion d’honneur de la part de Mitterrand. Son
plus beau pied de nez à la vie.
De Tunis, il fera aussi des allers-retours à Téhéran, pour négocier la
libération des otages du Liban. Les guerres de l’entre deux tours avec
les chiraquiens brouilleront le jeu, mais Rouleau aura fait son devoir.
Sous le soleil d’Uzès, où l’Orient semble moins éloigné qu’ailleurs, il
avait trouvé le calme et le rire pour la plus grande joie de ses
enfants, de ses petits enfants et des miens. Mercredi soir, il a décidé
de signer son dernier article et de partir. Il était Elie Raffoul. Il
était devenu Rouleau. Il restera Eric Rouleau. Jusqu’au bout il aura
décidé du tempo. Il nous laisse avec cette barre placée un peu trop
haut. Mais rien ne nous empêche d’essayer et d’essayer encore.
Par Olivier Ravanello
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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