En frappant le groupe Etat islamique chez son voisin libyen, le
président égyptien Fattah al-Sissi se pose en allié des Occidentaux dans
la lutte contre les jihadistes, éclipsant l'implacable répression qu'il
mène dans son pays, estiment des experts.
M. Sissi a frappé les esprits en envoyant ses avions de combat bombarder
les positions de la branche libyenne de l'EI quelques heures seulement
après l'annonce de la décapitation de 21 Egyptiens chrétiens.
Avec cette réaction rapide, "la stature de M. Sissi va certainement
changer de dimension en Occident", prévoit Moustafa Kamel al-Sayyid,
professeur de sciences politiques à l'université du Caire.
D'ailleurs, le "raïs" s'est placé mardi en première ligne du "combat
contre le terrorisme" en demandant au Conseil de sécurité de l'ONU
d'adopter une résolution pour mandater une intervention militaire
internationale en Libye. "Il n'y a pas d'autre choix", sinon ce pays va
se transformer en "terreau" du terrorisme et menacer, outre son pays,
"le bassin méditerranéen et l'Europe", a-t-il prédit.
"L'Egypte et Sissi apparaissent désormais comme des alliés-clés de
l'Occident dans la lutte contre l'EI", souligne Zack Gold, un expert de
l'Institut pour les études de la sûreté nationale, basé à Tel-Aviv.
Après avoir boudé un temps Sissi qui avait destitué en juillet 2013 le
président islamiste Mohamed Morsi, élu démocratiquement, et réprimé les
manifestations de ses partisans, les capitales occidentales ont été
forcées d'admettre qu'elles ne pouvaient pas isoler le plus peuplé et le
mieux armé des pays arabes au moment où l'EI gagnait du terrain dans la
région.
Washington, principal bailleur de fond, a repris début 2014 son aide
financière essentiellement destinée à l'armée. Et la France et l'Italie,
entre autres, ont reçu en grande pompe celui que les organisation
internationale de défense des droits de l'Homme considèrent désormais
comme le chef d'un des régimes les plus répressifs au monde.
Lundi, en vendant à l'Egypte ses premiers avions de combat Rafale à
l'exportation, la France a clairement assumé cette "realpolitik", le
ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian estimant que M. Sissi avait
été "élu démocratiquement". Le maréchal à la retraite a en effet
remporté haut la main la présidentielle de mai 2014, mais en ayant au
préalable éliminé de la scène politique toute opposition, islamiste puis
laïque et libérale.
Mais l'intervention en Libye ouvre un nouveau front pour l'armée
égyptienne, qui peine déjà à contrer sur son territoire des jihadistes
affiliés à l'EI menant des attentats spectaculaires contre les forces de
l'ordre, en représailles, selon eux, à la sanglante répression visant
les partisans de M. Morsi.
Pour les experts, la campagne libyenne permet à M. Sissi d'éclipser,
voire de justifier, cette répression qui a entraîné la mort de plus de
1.400 manifestants islamistes et la détention d'au moins 15.000
partisans de M. Morsi.
"Les critiques sur son bilan en matière des droits de l'Homme et des
libertés civiles risquent d'être mises de côté", avance H. A. Hellyer,
de la Brookings Institution, un think-tank basé à Washington.
Le gouvernement Sissi considère les Frères musulmans comme une
"organisation terroriste", les accusant d'être derrière les attentats
qui déciment les forces de l'ordre. Or ces derniers sont revendiqués par
les jihadistes d'Ansar Beït al-Maqdess, affiliés à l'EI, et condamnés
par les Frères musulmans qui avaient remporté toutes les élections
depuis la chute de Hosni Moubarak en 2011.
"Même s'il a diversifié ses alliés en prenant contact avec la Russie, la
Chine et la France, l'opération en Libye va aider à lever
définitivement les sanctions américaines imposées à l'Egypte avec
l'interruption de l'aide militaire," précise H. A. Hellyer.
Car "les Etats-Unis seront désormais plus disposés à accepter la
position de l'Egypte selon laquelle sa transition (démocratique) sera
lente," précise M. Gold.
(17-02-2015 - Assawra)
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