Abdullah Ehmeda avec la photo de son fils Abdelqader, tué à Syrte, le 8 août 2016 à Misrata (Afp)
A Misrata, plus que dans toute autre ville de Libye, on pleure la perte d'un cousin, d'un père ou d'un fils dans la bataille engagée contre les jihadistes du groupe terroriste Daesh qui s'est autoproclamé Etat islamique (EI).
La cité côtière située dans l'ouest du pays en proie au chaos, abrite les puissantes milices qui forment le noyau des forces impliquées dans les combats pour reprendre Syrte, le principal fief de Daesh à quelque 200 km plus à l'est.
C'est là d'ailleurs qu'est basé le commandement de l'offensive lancée le 12 mai pour reconquérir Syrte par les troupes du gouvernement d'union nationale (GNA). Bilan: 300 combattants morts et 1.800 blessés, la plupart originaires de Misrata.
"A Misrata, chaque famille a un martyr", lâche Echteoui Khalifa devant la tombe de son cousin mort au combat.
"Mon rôle d'avocat est terminé. C'est l'heure du combat", lui avait confié avant son départ pour Syrte Abderrahmane al-Kissa, un ex-ministre des Martyrs du Conseil national de Transition (CNT) pendant la révolte de 2011 puis président du Barreau libyen depuis 2012.
Le fils de cet ancien ministre, Ali, raconte que deux jours après le départ de son père pour Syrte, il reçoit un coup de fil lui annonçant la mauvaise nouvelle.
"Il m'a dit: 'je pars pour Syrte'. C'était par conviction. Il est parti lundi et il est mort mercredi", dit Ali, 22 ans, aîné d'une fratrie de cinq enfants, en regardant des photos de son père âgé de 54 ans dans la maison familiale à Misrata.
"Les gens ici honorent les martyrs. Mais j'espère que la guerre prendra fin. C'est le voeu de tout Libyen, que cette guerre se termine et que le pays se relève", ajoute Ali al-Kissa, les yeux baissés.
Misrata vit au rythme de la bataille de Syrte conquise par les jihadistes en juin 2015.
La ville avait également payé un lourd tribut lors de la révolte populaire de 2011 qui chassa du pouvoir le leader Mouammar Kadhafi, capturé et tué en octobre de la même année après un règne sans partage de plusieurs décennies.
Formées principalement d'ex-rebelles ayant refusé de déposer les armes après le conflit de 2011, les milices de Misrata sont les mieux armées du pays avec des avions MiG, des chars et des hélicoptères d'attaque.
Dimanche dernier, les forces du GNA ont annoncé le début du "compte à rebours" pour donner l'assaut "final" aux jihadistes retranchés dans le centre de Syrte, avec le soutien aérien des Etats-Unis.
Mais la résistance des jihadistes est féroce. Tireurs embusqués, voitures piégées et kamikazes freinent l'avancée des pro-GNA et leur infligent de lourdes pertes.
Père de neuf enfants, Abdallah Ehmeda, 66 ans, n'a pas eu le temps de profiter du retour de l'un de ses fils sain et sauf du front qu'un autre rejoignait Syrte.
Au total quatre des fils d'Abdallah se sont rendus à Syrte.
L'un d'eux n'est jamais revenu. C'est son fils Abdelqader, un journaliste de 30 ans qui a été tué en couvrant les combats.
Assis au salon, à côté de l'un de ses enfants, Abdallah a précieusement gardé une copie d'un journal local qui avait publié des photos et un hommage à son fils.
De temps en temps, il le feuillette, regarde les photos, puis, les larmes aux yeux, le referme et parle de nouveau de son fils marié il y a un an et demi.
Abdelqader n'avait pas eu la vie facile. "Il a été blessé par balle pendant la (révolte) de 2011, a été enlevé en 2013, puis est mort à Syrte. Sa vie est en fait comme celle de nombreux Libyens qui défendent leur pays", dit-il.
Ceux qui combattent Daesh à Syrte sont "des gens qui luttent pour leur patrie", soutient le sexagénaire. "Personne n'accepte de bon coeur de perdre son fils (...) mais la victoire apaiserait la douleur d'avoir perdu Abdelqader".
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