jeudi 12 février 2015

Tunisie : Z, le caricaturiste masqué s'expose (Benoît Delmas)

"Z – s’expose",
Maison de l’image
40, rue Tarak Ibn Zied 1086 Mutuelleville, Tunis

Mieux que l’homme invisible, le dessinateur Z. La preuve le 16 janvier dernier. Cité U, Paris. La Maison de Tunisie fait salle comble. Il a fallu pousser les murs pour accueillir les 400 personnes qui jouent des coudes pour se marrer des dessins de Z. Au milieu de cette foule, il était là. Incognito. "C’était très agréable, j’écoutais les réactions des gens sans avoir à subir les politesses de circonstances", s’amuse celui qui fut recherché des années durant, à Paris et Tunis, par les sbires de la police secrète de Ben Ali.
Ses crimes ? Avoir croqué le despote – "ce qui relevait du blasphème pour le régime" -, dépeint sa femme en courtisane avide de dinars/dollars et autres monnaies mal acquises. Il n’épargna rien. Ni la mafia, ni la corruption institutionnalisée par l’État, ni les mœurs à la Borgia du clan Trabelsi, la belle-famille du dictateur. Ce doux personnage, rien ne le prédestinait à entrer en guerre avec le régime policier tunisien, ses crayons pour munitions. Architecte de formation, il sait dessiner. 2007. Dix-neuf ans que Zine el-Abidine Ben Ali est au pouvoir. Sa femme, la puissante marâtre Leïla, veut alors marier son fils à l’une des filles de l’émir des Émirats arabes unis. Un projet digne de pharaon découle de ce projet marital. "Ben Ali et le clan de sa femme voulaient édifier une cité façon Dubaï de 750 hectares en bordure de Tunis", explique l’archi pas encore devenu caricaturiste.
Celui qui n’est pas encore Z se procure les plans. Les décortique. Et lance un blog, Débat Tunisie. "Tout le monde disait que les débats étaient interdits mais personne n’en lançait", constate-t-il. Avec des ruses de cyberactiviste, il le conçoit. Des papiers très sérieux sur les dangers d’un tel projet. Succès très relatif. Puis il décide de mettre ses feutres au service de son propos. Premier cartoon, premier carton. Z est né, partagé sur les réseaux sociaux, traqué par la sûreté intérieure.
Sa cohorte de personnages, les Ben Simpsons (les personnages de Matt Groening appliqué aux Ben Ali) notamment, séduit, amuse, irrite. Il dessine au crayon, scanne puis colorie. Et poste sur sa page Débat Tunisie. Biberonné à l’école Charlie/Siné, il n’est jamais loin de la transgression. À ses yeux, ses dessins ne peuvent pas faire de mal. Sa conviction : "Qu’on se débarrasse de l’utilisation politique du religieux." Il faut "détabouïser l’espace public", martèle-t-il. "C’est aux artistes, aux intellectuels de le faire", dit-il avant de marquer un temps d’arrêt.
Et de reprendre : "Le problème ? Ils ne le font pas." Marx ? "Le recours au religieux est une échappatoire pour bon nombre de gens." Tendance Groucho ? "Le blasphème, la caricature, le sexe… sont une façon de sortir le dogmatique de l’espace public." Le 13 février, il sera à Tunis. La Maison de l’image exposera les dessins de son choix. Celle où l’on voit le roi Abdallah mourir d’une fellation généreusement offerte par une pulpeuse créature sera-t-elle présente ? "Je ne sais pas si je vais me censurer…" Mais il sera là. Anonyme au cœur des invités. Vengeur masqué des turpitudes politico mafieuses.


(12-02-2015 - Benoît Delmas)

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