Il en est désormais persuadé. "Des armes chimiques ont été utilisées
en Syrie. C’est indéniable", a annoncé lundi le secrétaire d’État
américain John Kerry. "Ceux qui ont recours aux armes les plus atroces
contre les populations les plus vulnérables de la planète doivent rendre
des comptes", a-t-il averti, sans pour autant accuser le régime syrien.
Mais il ne fait aucun doute que c’est bien Bachar el-Assad qui est
visé. Ce mardi, les chancelleries occidentales s’activaient pour
préparer une riposte militaire devenue inévitable.
Pourquoi les Américains ont-ils changé d’avis ?
L’accélération des événements tranche avec l’attentisme de mise de la
semaine dernière à Washington, qui avait pourtant fixé, à l’été 2012,
une ligne rouge à Bachar el-Assad à ne pas franchir sous peine de
riposte militaire. "La véritable ligne rouge pour Barack Obama est de ne
pas envoyer un seul soldat américain combattre au Moyen-Orient pour
provoquer une nouvelle guerre, après les précédents de l’Irak et de
l’Afghanistan", affirme David Rigoulet-Roze (1), chercheur à l’Institut
français d’analyse stratégique (Ifas).
Les sondages donnent raison au président américain. D’après une étude
récente réalisée par Reuters/Ipsos, quelque 60 % des Américains se
disent hostiles à une intervention militaire américaine en Syrie, et
seuls 9 % des sondés estiment que Barack Obama se doit d’agir. Mais dos
au mur face au concert d’indignations internationales après le massacre
de la Ghoutta orientale mercredi dernier, qui aurait fait plus de 1 000
morts, le pensionnaire de la Maison-Blanche n’a eu d’autre choix que de
réagir.
"Pris dans ses contradictions sur les armes chimiques, Obama ne pouvait
se permettre de ne rien faire", souligne David Rigoulet Roze. "Il en
allait de la crédibilité stratégique des États-Unis en termes de
dissuasion". Soucieux de ne pas donner l’impression d’un blanc-seing aux
détenteurs d’armes de destruction massive, avec en tête l’Iran, Barack
Obama a donc demandé au ministère de la Défense de préparer "des options
pour tous les cas de figure". Une requête qui s’est traduite par
l’envoi en Méditerranée d’un quatrième destroyer équipé de missiles de
croisière Tomahawk.
Quelle forme l’opération prendrait-elle ?
Selon la presse américaine, le président Obama réfléchirait à une frappe
limitée, qui ne durerait probablement pas plus de deux jours, estime le
Washington Post. De son côté, le New York Times évoque des tirs de
missiles de croisière depuis des bâtiments américains en Méditerranée,
sans pour autant chercher à renverser Bachar el-Assad. "Il devrait
s’agir d’une opération de coercition visant à montrer au président
syrien le prix à payer pour avoir franchi la ligne rouge", analyse
François Heisbourg, président de l’Institut international des études
stratégiques (IISS). "L’envoi de centaines de missiles de croisière
pourrait considérablement l’affaiblir et le convaincre de ne pas
réutiliser ses armes chimiques." Pour le chercheur David Rigoulet-Roze,
"les bombardements ne devraient pas viser les sites chimiques, bien trop
risqués, mais cibler davantage les sites stratégiques du régime".
Quand l’opération commencera-t-elle ?
François Hollande l’a confié lundi, "tout va se jouer cette semaine".
D’après le chercheur François Heisbourg, si une décision est prise dans
les jours qui viennent, une intervention devrait avoir lieu "la semaine
prochaine", car "il faut apporter aux opinions publiques les éléments de
preuve d’une utilisation d’armes chimiques à Damas". Toute opération
devrait toutefois être déclenchée avant les sommets du G8 et du G20, qui
ont lieu à Saint-Pétersbourg, les 5 et 6 septembre prochains.
Quel cadre légal pour l’opération ?
Sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, bloqué par les veto russes
et chinois, l’intervention pourrait être assurée par une coalition
internationale de volontaires, sur le modèle de l’alliance militaire
conduite par l’Otan en 1999 au Kosovo, ou de l’intervention contre
l’Irak menée en 2003. Le nombre d’États impliqués dans les combats se
limiterait aux pays disposant des capacités pour lancer des frappes
ciblées depuis la mer, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne, la
France, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. La
Turquie a également annoncé qu’elle se joindrait à la coalition.
"Politiquement, il vaut mieux que l’opération apparaisse comme
internationale", explique François Heisbourg. Toutefois, il ne fait
guère de doute que les États-Unis devraient assurer l’essentiel de la
mission. "À côté des Américains, les autres pays font office de petits
joueurs", estime David Rigoulet-Roze. "Quant aux pays musulmans, leur
rôle est davantage d’habiller une opération afin qu’elle ne soit pas vue
comme strictement occidentale."
Bachar el-Assad peut-il être renversé ?
Cet objectif impliquerait une guerre terrestre beaucoup plus longue aux
conséquences incertaines, ce qu’exclut François Heisbourg.
"Politiquement, l’envoi de soldats sur un terrain étranger serait très
difficile à légitimer auprès d’une opinion publique, surtout sans aval
de l’ONU." En outre, une telle opération s’avèrerait extrêmement risquée
sur le plan militaire. Contrairement à la Libye, l’armée de Bachar
el-Assad est l’une des plus puissantes de la région, équipée et
conseillée par ses alliés russes et iraniens. Le ministre syrien des
Affaires étrangères, Walid Mouallem, a d’ailleurs prévenu mardi que son
pays se défendrait contre toute attaque avec "des moyens de défense qui
surprendraient" le monde.
Autre limite d’un changement de régime : le manque d’option de rechange
en cas de chute du "boucher de Damas". Les divisions au sein de
l’opposition à l’étranger, et l’émergence de groupes djihadistes au sein
de la rébellion, ne sont pas pour rassurer l’Occident. La perspective
serait donc davantage de profiter de cette intervention pour affaiblir
le régime et changer le rapport de force en faveur d’une opposition sur
le déclin. "Un affaiblissement du régime pourrait l’amener à accepter
davantage de compromis dans le cadre d’un règlement politique du
conflit", estime le chercheur David Rigoulet-Roze.
Le conflit peut-il déborder ?
La crise syrienne impliquant de nombreux acteurs dans la région engagés
dans des alliances tant stratégiques que confessionnelles, une
intervention militaire, même limitée, a toutes les chances de servir
d’étincelle à un conflit de plus grande ampleur. Principal allié de
Damas, l’Iran a déjà menacé Washington de "dures conséquences" s’il
franchissait la "ligne rouge" en Syrie. De son côté, le ministre syrien
de l’Information, Omran Zoabi, a averti que l’intervention militaire
américaine "créerait une boule de feu qui embraserait le Moyen-Orient".
"En utilisant l’arme chimique, Bachar el-Assad a prouvé qu’il était prêt
à aller très loin", affirme David Rigoulet-Roze. "On sait comment
commence ce genre de conflit limité, mais on ignore toujours comment il
s’achève."
(27-08-2013 - Armin Arefi)
(1) David Rigoulet-Roze, auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite
(éditions Armand Colin) et de L’Iran pluriel (éditions L’Harmattan).
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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