mercredi 12 décembre 2012

Syrie : comment la guerre est devenue confessionnelle (Armin Arefi)

L’opposition syrienne n’a cessé de répéter depuis le début que le conflit en cours en Syrie n’était pas une guerre civile entre communautés, mais une révolution populaire contre Bachar el-Assad. Si les premières manifestations pacifiques contre le président syrien accréditaient cette thèse, l’inévitable militarisation du conflit, suite logique de l’incapacité de la communauté internationale à empêcher le bain de sang, a inexorablement plongé le pays dans une véritable guerre civile. Et Bachar el-Assad et ses soldats étant majoritairement issus de la minorité alaouite, face à des opposants en grande partie sunnites, le conflit confessionnel était inévitable.
Un nouvel incident survenu mardi dans le village d’Aqrab, à 40 km de la ville de Hama, en a apporté la preuve. Entre 125 et 150 personnes habitant le quartier alaouite d’Akrad Ibrahim ont été visées par des explosions, révèle l’Observatoire syrien des droits de l’homme. "Ce n’est pas un massacre", affirme Rami Abdel Rahmane, directeur de l’institut qui s’appuie sur un vaste réseau d’observateurs et de militants sur la Syrie, devenant la principale source des médias occidentaux en l’absence de journalistes sur le terrain. "Nous ne pouvons déterminer le nombre exact de morts. Toutefois, nous pouvons confirmer que des explosions ont bien eu lieu à l’extérieur des immeubles abritant la communauté alaouite", ajoute le militant.
Plusieurs versions contradictoires évoquent cette tragédie. Des vidéos postées sur YouTube et traduites par l’AFP mettent en scène deux jeunes adolescents blessés dans l’attaque, probablement issus de la minorité alaouite. Allongés sous des couvertures et visiblement choqués, ils sont interrogés par des militants : "Des chabbihas (miliciens pro-régime) sont venus en disant on vient pour vous protéger des rebelles, et ils nous ont empêchés de sortir de nos maisons, ils ont tué mon père, ma mère et mon frère", raconte en bégayant l’un d’entre eux, qui dit s’appeler Mohamed.
De leur côté, les réseaux de militants des Comités locaux de coordination (LCC) et la Commission générale de la révolution syrienne (CGRS) ont affirmé que les explosions avaient été provoquées par un bombardement mené par les chars de l’armée gouvernementale, rapporte l’AFP. "L’armée syrienne n’a rien à voir avec l’incident d’Aqrab, peste Rami Abdel Rahmane. L’armée syrienne ne peut plus pénétrer dans ce village." D’après le militant, les 150 civils alaouites du quartier d’Akrad Ibrahim sont protégés par 10 combattants rebelles appartenant eux-mêmes à la minorité.
"Nous possédons trois versions différentes de ce qui s’est passé et nous ne pouvons les confirmer, confie-t-il. La plus plausible demeure la thèse de combats entre soldats rebelles." D’après Rami Abdel Rahmane, deux cheikhs (religieux) sunnites se sont tout d’abord rendus dans le quartier afin de convaincre les populations alaouites de quitter les immeubles où elles sont réfugiées. "Le conflit a éclaté après l’arrestation des 2 cheikhs par les 10 combattants rebelles alaouites, sans que l’on en comprenne la raison", explique le militant.
Dès lors, des rebelles sunnites de la vile d’Al-Houla, qui s’étaient approvisionnés en armes lourdes dans l’attaque d’un poste de contrôle de l’armée régulière deux semaines plus tôt, se seraient vengés. "Nous pouvons confirmer la mort de deux soldats rebelles sunnites d’Al-Houla ainsi que d’un des deux cheikhs, assure Rami Abdel Rahmane. Mais nous ne connaissons pas le nombre de civils tués, qui n’est certainement pas élevé." La ville d’Al-Houla, dont sont originaires les combattants sunnites, a été elle-même victime d’un bain de sang, le 25 mai dernier. Cent huit personnes, dont quarante-neuf enfants et trente-quatre femmes, y avaient été massacrées.
Tandis que l’Observatoire syrien des droits de l’homme, puis l’ONU, avait imputé la tuerie aux militaires du régime syrien, un journal allemand, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, avait, lui, accusé les soldats de l’Armée syrienne libre. Cette thèse avait alors était accueillie à bras ouverts par Damas, qui y voyait là la confirmation de sa théorie selon laquelle des "groupes terroristes" sèment le chaos dans le pays depuis 21 mois. Étonnamment, la télévision d’État s’est bien gardée cette fois d’évoquer la tuerie d’Aqrab.
"Ce sont les chabbihas du régime qui ont allumé la mèche du conflit confessionnel en Syrie en attaquant les premiers des mosquées sunnites, le 10 avril 2011, dans la ville de Baniyas", rappelle Rami Abdul Rahmane. "Aujourd’hui, si, pour la première fois, des populations alaouites sont visées en Syrie, d’autres communautés font les frais du conflit depuis des mois, souligne le militant. À force de mettre l’accent sur la question confessionnelle, les médias arabes du Golfe ont changé le conflit d’une lutte pour la démocratie en combat pour un État islamique."

(12 Décembre 2012 - Armin Arefi)

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