À en croire les dirigeants occidentaux, le régime syrien serait au
bord du précipice. Celui-ci serait "proche de l’effondrement (...) ce
n’est qu’une question de temps", a déclaré le 13 décembre le secrétaire
général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen. "La fin se rapproche pour
Bachar el-Assad", a renchéri dimanche Laurent Fabius. "Vous avez vu,
même si c’est controversé, que même les Russes l’envisagent", a ajouté
le chef de la diplomatie française.
En effet, même à Moscou, pourtant allié indéfectible de Damas, le
vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a annoncé
que le régime syrien perdait "de plus en plus" le contrôle du pays et
qu’une victoire de l’opposition dans ce conflit n’est pas à exclure. Le
responsable russe avait ensuite été sévèrement repris par le Kremlin.
Diplomatiquement, cela se traduit par un démenti du ministère russe des
Affaires étrangères, affirmant que la Russie n’avait "jamais changé et
ne changera jamais sa position".
"Cela fait un an et demi, soit depuis avril 2011, que l’on entend les
responsables occidentaux annoncer la fin proche de Bachar el-Assad",
rappelle Rami Abdul Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des
droits de l’homme, une ONG basée à Londres et disposant d’un vaste
réseau d’observateurs et de militants en Syrie. "Or, le régime syrien
pouvant se reposer sur une armée de 400 000 soldats et sur 200 000
agents de sécurité, en sachant qu’environ 50 000 d’entre eux ont été
arrêtés, blessés ou tués par l’opposition, il reste encore à Bachar
el-Assad au moins 400 000 hommes", estime le militant syrien.
En dépit de ce déséquilibre des forces sur le terrain, les médias
occidentaux relaient, depuis plusieurs semaines, des avancées
spectaculaires des rebelles, qui ont pris le contrôle de plusieurs
casernes de l’armée syrienne. Disposant désormais de missiles sol-air,
les opposants ont réussi à s’unir sous l’égide d’un commandement commun.
Une première étape avant la possible levée de l’embargo européen sur
les armes à destination de la Syrie, autrement dit de l’armement des
rebelles par l’Occident.
Toutefois, ces mêmes médias, qui s’appuient en majorité sur les
informations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, n’oublient
pas de préciser que les plus importantes percées "rebelles" sont à
attribuer à Jabhat al-Nosra (Front de défense du peuple syrien), un
groupe djihadiste exclusivement composé de Syriens, qui a revendiqué
plusieurs attentats-suicides. L’organisation liée à al-Qaïda a récemment
été placée par les États-Unis sur leur liste des organisations
terroristes, provoquant l’ire de l’opposition syrienne.
Mais d’après le chercheur spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche*,
les dernières avancées rebelles sont également à attribuer à une
stratégie délibérée de l’armée de Bachar el-Assad. "L’armée régulière
adopte une méthode de contre-insurrection", explique-t-il. "Elle se
retire des zones où les populations lui sont hostiles, et où elle
pourrait donc facilement être la proie des rebelles, pour se replier sur
les grandes villes." Rami Abdul Rahmane confirme que le régime contrôle
toujours la plupart des grandes métropoles du pays : al Hasaka, Idleb,
Hama, Homs et Damas, ainsi que la côte ouest, peuplée par les
populations alaouites (minorité religieuse à laquelle appartient Bachar
el-Assad).
"Quant aux villes disputées comme Alep, et Deir Ezzor, le régime y
conserve toujours une présence militaire, lui permettant de contrôler
certains pans", ajoute le directeur de l’Observatoire syrien des droits
de l’homme. "Cette configuration permet au régime de lancer des
offensives quand bon lui semble." Pour Fabrice Balanche, la Syrie
demeure aujourd’hui divisée en trois zones : la moitié du pays aux mains
de Bachar el-Assad, une zone aux mains des rebelles, et une autre
disputée. "En termes de population, cela se traduit par 50 % pour le
régime, 15 à 20 % pour les rebelles et 25 % pour les zones disputées,
car il ne faut pas oublier les 8 % de la population syrienne aux mains
des milices kurdes", dans le nord du pays, précise le chercheur.
Autre stratégie menée par les forces loyalistes, celle dite du
pourrissement. "L’armée régulière attend que les rebelles soient rejetés
par la population avant de mener leur offensive." L’entrée dans une
ville de combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) est souvent suivie
de bombardements des chars des forces loyalistes, et aujourd’hui de ceux
des avions de combats de Damas. Malgré le froid, les populations n’ont
d’autre choix que de fuir, nourrissant le flot ininterrompu de réfugiés
quittant le pays.
"Ces populations ne sont pas pro-Bachar el-Assad, mais partisanes d’un
retour à la stabilité dans le pays", estime Fabrice Balanche. "Ainsi,
elles accueillent favorablement le retour de l’armée." Le meilleur moyen
pour les journalistes de vérifier ces dires reste le reportage sur
place. Mais en raison du nombre extrêmement limité de visas délivrés par
Damas, les reporters occidentaux n’ont d’autre choix que de rentrer en
Syrie via la Turquie pour couvrir les zones de conflit.
Et en temps de guerre, les journalistes demeurent étroitement surveillés
par les combattants de l’ASL, qui n’aiment pas que leurs convives
rapportent la multiplication des exactions commises contre ceux qu’ils
accusent d’être des "informateurs" du régime syrien. Des violences que
les confrères pourraient peut-être couvrir plus librement s’ils
effectuaient, par exemple, des reportages au sein de l’armée de Bachar
el-Assad. À moins que le président syrien ne souhaite pas que le monde
sache précisément ce qui se passe dans son pays.
(20 Décembre 2012 - Armin Arefi)
(*) Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-II et
directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le
Moyen-Orient (Gremmo).
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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