Pour sa première visite d’état en Algérie, le président français,
François Hollande a accordé une interview exclusive à El Watan et El
Khabar.
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La reconnaissance des exactions commises lors des événements
du 17 Octobre 1961 a été perçue par les Algériens comme un pas positif
dans le sillage d’une réconciliation, mais a été jugée également
insuffisante par rapport aux crimes commis pendant la période.
Qu’allez-vous dire substantiellement lors de votre première visite en
Algérie en tant que chef d’Etat ?
La répression sanglante de la manifestation du 17 Octobre 1961 à Paris
n’avait jamais été reconnue par la République française. J’ai voulu le
faire parce que je suis convaincu qu’un regard lucide sur l’histoire est
nécessaire à la construction de l’avenir. Je connais les attentes du
peuple algérien à l’égard de la France en ce qui concerne la
colonisation et je partage pleinement la volonté, exprimée le 8 mai
dernier par le président Bouteflika, d’avoir une lecture objective de
l’histoire pour parvenir enfin à dépasser les séquelles d’un passé
douloureux. Je souhaite que ma visite d’Etat en Algérie soit l’occasion
d’avancer dans ce sens, de franchir une étape dans la relation entre nos
deux pays. Le moment est venu, en cette année du cinquantenaire de
l’indépendance de l’Algérie. J’aurai l’occasion de m’exprimer devant les
représentants du peuple algérien au cours de ma visite. J’aborderai la
question de la mémoire avec lucidité et responsabilité. Nous le devons
aux victimes, à toutes les victimes et au peuple algérien. Nous le
devons à la France. Nous le devons à l’Algérie.
Vous préconisez, Monsieur le Président, un partenariat
privilégié d’égal à égal avec l’Algérie. Quels sont ses fondements, ses
modalités, son contenu ?
Le principe de ce partenariat, c’est l’égalité. La France et l’Algérie
sont deux grands pays, des acteurs essentiels dans la région et qui
comptent dans le monde. Notre relation doit correspondre à l’intensité
des liens qui unissent nos peuples et aux défis auxquels nous avons à
faire face ensemble. Notre partenariat accordera une place importante à
la jeunesse, qui est notre chance et notre avenir.
C’est l’objet de la déclaration politique que je signerai avec le
président Bouteflika. Elle fixe quatre priorités. Le dialogue politique,
qui passera par la création d’un comité intergouvernemental de haut
niveau, présidé par les Premiers ministres et dont la première réunion
sera organisée au cours de l’année 2013. Les échanges humains, ensuite :
nous aurons à cœur de favoriser le plus largement possible la mobilité
entre nos deux pays. Le troisième enjeu est celui de la culture et de
l’éducation, qui fera l’objet d’un document cadre pour les cinq années à
venir. Enfin, les relations économiques avec l’adoption d’un
partenariat industriel et technologique, pour favoriser
l’investissement, la création d’emplois et les transferts de
technologie.
La dimension humaine de la relation bilatérale
franco-algérienne est très importante et très dense, impliquant des
individus, des familles, des associations de la société civile. Que
proposez-vous pour qu’ils puissent circuler sans entraves entre les deux
pays ?
La circulation des personnes doit être facilitée dans le respect de nos
législations respectives et de nos engagements internationaux. Des
progrès ont d’ores et déjà été enregistrés. Près de 200 000 Algériens
reçoivent chaque année un visa dans nos consulats. Le taux de délivrance
des visas par la France augmente et atteint près de 75%, alors même que
les demandes sont en hausse. Nous avons mis un terme au projet envisagé
par le gouvernement précédent de prélever une taxe d’entrée sur le
territoire français au moment de la demande, en plus du prix du visa
lui-même. Nous allons encore prendre des mesures pour faciliter
l’accueil des demandeurs pour que les documents soient délivrés plus
vite par nos consulats. Nous attendons aussi de l’Algérie qu’elle prenne
des engagements pour faciliter les démarches des Français qui
souhaitent se rendre sur son territoire. La mobilité entre nos deux
peuples est une richesse, une question de respect et d’intérêt mutuel.
Les Français d’origine algérienne sont très nombreux (plus de
trois millions). Comment faire pour que cette population soit un levier
du partenariat bilatéral au bénéfice mutuel des deux pays ?
Mes concitoyens d’origine algérienne représentent, par leur travail,
leur talent et leur pleine intégration, une richesse pour la France. Ils
sont aussi des acteurs de la relation entre nos deux pays. Des dizaines
de milliers de familles françaises, algériennes ou franco-algériennes,
franchissent aussi la Méditerranée tous les ans dans les deux sens.
Je suis heureux d’être accompagné dans cette visite par de très
nombreuses personnalités économiques, culturelles ou artistiques, qui
ont des liens étroits avec l’Algérie. Notre partenariat n’est pas
seulement un accord entre gouvernements, mais un lien entre nos deux
sociétés pour développer des projets concrets au bénéfice des Français
comme des Algériens. A nous de faire en sorte que ce soit le cas en
mettant au cœur de notre relation la formation, l’emploi, la culture.
C’est le sens du soutien qu’apporte la France à la création d’instituts
d’enseignement supérieur technologique en Algérie, dont l’objet est de
favoriser la formation professionnelle, et donc l’emploi des jeunes
Algériens.
Les autorités algériennes ont entamé un processus de réformes
politiques au lendemain de ce qui est communément appelé « le printemps
arabe ». Pensez-vous que ce qui a été entrepris est suffisant pour
faire valoir une démocratisation dans le pays ou d’autres efforts
sont-ils requis pour être en adéquation avec les aspirations du peuple
algérien et de sa jeunesse notamment ?
La Méditerranée connaît des bouleversements profonds dont il est encore
difficile de mesurer toutes les conséquences. Ils montrent combien
l’aspiration à la liberté et à la justice est universelle. Ils sont
aussi porteurs d’incertitudes. L’Algérie a suivi, depuis 1989, une
trajectoire très différente de ses voisins et en retire une expérience
qui ne saurait être comparée à aucun autre pays. Il y a aussi, en
Algérie comme ailleurs, une aspiration à un mieux-vivre et à une plus
grande participation de la société à la vie démocratique et sociale. Le
président Bouteflika a annoncé, en avril 2011, une série de réformes qui
doivent conduire à une révision de la Constitution dans le sens d’un
renforcement de la démocratie. C’est aux Algériens, et à eux seuls,
qu’il appartiendra d’en juger.
La France a perdu du terrain au niveau économique, les
entreprises françaises hésitant à investir en Algérie. Du côté algérien,
les autorités s’attellent à améliorer le climat d’affaires. Les
intérêts des deux pays n’imposent-ils pas une impulsion plus forte dans
ce domaine ?
La France, par ses entreprises, est le premier investisseur étranger en
Algérie si l’on met de côté le secteur, très particulier, des
hydrocarbures. 450 entreprises françaises sont implantées en Algérie. La
France est aussi l’un des tout premiers partenaires commerciaux de
l’Algérie dont elle est le premier fournisseur et le quatrième client.
Nos relations économiques sont donc solides. Mais nous pouvons faire
plus et mieux encore. C’est le message que je délivrerai jeudi matin,
lors des rencontres économiques franco-algériennes. Je souhaite que
cette visite soit l’occasion de sceller un partenariat industriel et
technologique, pour stimuler la croissance économique dans nos deux
pays, créer des emplois et nous engager ensemble en direction de
nouveaux marchés.
L’usine Renault qui sera construite à Oran et dont cette visite a
permis de finaliser le projet constitue un exemple emblématique,
puisqu’elle doit permettre de produire davantage en Algérie, d’opérer un
transfert de savoir-faire au profit de ce pays et d’y créer des emplois
sans pour autant en supprimer en France. La co-localisation des
activités de production est aussi une voie à explorer pour donner une
nouvelle impulsion à nos relations économiques. Elle permet d’associer
au mieux les compétences disponibles au sein de nos entreprises et de
créer des emplois dans nos deux pays.
La position française favorable au Maroc sur le Sahara
occidental est incomprise. La France ne devrait-elle pas avoir une
attitude plus équilibrée sur cette question pour pouvoir influer sur le
règlement de ce qui reste le dernier cas de décolonisation en Afrique ?
La France est pleinement consciente de l’enjeu que représente la
question sahraouie pour les populations concernées, pour le Maroc et
pour l’Algérie.
Elle soutient une solution négociée et mutuellement
acceptable, conformément aux résolutions et paramètres clairement
définis par le Conseil de sécurité, le réalisme et l’esprit de compromis
doivent permettre de parvenir à une solution politique à ce différend
qui n’a que trop duré. La France est disponible pour aider les parties à
progresser vers une solution.
Le phénomène du terrorisme est devenu endémique, au point de
représenter un danger réel pour les pays de la région. Quelle perception
avez-vous de l’émergence d’AQMI et de ses ramifications, comme le
Mujao, au Sahel ? Que préconise la France comme solution pour enrayer
ledit phénomène ? Pensez-vous que l’option militaire à elle seule soit à
même de résoudre le problème au Mali, sans risque d’atomiser la
région ? Comment percevez-vous le rôle de l’Algérie dans le traitement
du dossier du Mali et qu’en est-il des divergences entre Paris et Alger
concernant les voies et moyens qui devraient être mis en œuvre pour
éviter l’escalade militaire, ainsi que sur la problématique du payement
de rançons ?
Il existe un consensus international exprimé par les résolutions du
Conseil de sécurité pour lutter contre le terrorisme au Sahel et aider
le Mali à recouvrer son intégrité territoriale. L’occupation du
Nord-Mali par des groupes terroristes est une menace pour la région et
pour la communauté internationale. Ce sont les autorités maliennes,
l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de
l’Ouest (Cédéao) qui ont demandé aux Nations unies de les aider à mettre
un terme à cette situation inacceptable. La France et l’Algérie – dont
je n’oublie pas qu’elle a été une victime du terrorisme – s’inscrivent
dans ce consensus qui, seul, permettra de ramener la paix au Sahel. Nos
deux pays s’entendent sur la poursuite d’une double approche, à la fois
politique et sécuritaire, de cette crise. Nous devons renforcer notre
dialogue sur les questions internationales et régionales, y compris,
naturellement, sur la situation au Sahel et sur la crise malienne.
Les échanges culturels entre les deux pays ont beaucoup
régressé si l’on se réfère aux années 1970-1980. Quelles sont les
initiatives à engager pour les promouvoir de nouveau ?
Les échanges culturels entre la France et l’Algérie sont d’ores et déjà
très denses. L’Algérie est le deuxième pays s’exprimant en français dans
le monde. Cet attachement à la diversité culturelle et linguistique est
une force pour notre relation. Nous devons développer l’enseignement du
français en Algérie, comme l’enseignement de l’arabe en France.
Je me réjouis aussi du dynamisme du réseau culturel français en Algérie
dont témoigne la création, en 2012, de l’Institut français d’Algérie.
Nous devons aller plus loin car les échanges culturels sont essentiels
au rapprochement de nos peuples. L’année 2013 nous en donnera l’occasion
puisque Marseille, cette ville si liée à l’Algérie, sera la capitale
européenne de la culture. Je souhaite que l’Algérie participe pleinement
à cet événement important pour la France, pour l’Europe et pour la
Méditerranée.
(20 Décembre 2012 - Propos recueillis par Nadjia Bouzeghrane, Slimane Hammiche et Hafid Soualili)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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