"Ils n’ont pas de médicaments depuis des mois et chaque jour leur
situation se détériore" : l’hôpital psychiatrique Dar Al-Ajaza, au coeur
de la Vieille ville d’Alep, héberge une soixantaine d’handicapés,
dépourvus de tout depuis le début des combats.
"Il n’y a ni lumière, ni chauffage, ni eau courante dans les sanitaires,
ils ont à peine de quoi manger", explique Abou Abdou, responsable de
cet établissement, situé sur la ligne de front entre armée et rebelles
dans la métropole du nord syrien, où des combats sans merci ont débuté
fin juillet.
"Si les habitants du quartier ne leur donnaient pas de quoi manger, ils
seraient morts d’inanition depuis bien longtemps", assure cet infirmier.
"Le personnel a cessé de venir quand la guerre a commencé à Alep. Ils
ont abandonné les patients. Moi, cela fait plus de cinq ans que je
travaille avec eux, c’est comme ma famille, et je ne les lâcherai pas et
ne les laisserai pas mourir de faim ou de froid", lance Abou Abdou. "Je
lutte pour eux chaque jour".
Cet infirmier tend une cigarette à Omar Satout, vieil homme en treillis
"qui se prend pour un officier de l’armée et veut aller se battre contre
Israël", puis présente le plus jeune des internés Mohammad Matar, pieds
nus et vêtu d’un simple polo, dont les dents claquent de froid.
"Ces quatre derniers mois, huit personnes sont mortes. Nous essayons de
nous occuper d’eux du mieux possible, mais le plus étonnant c’est qu’ils
soient encore en vie", confie Abou Abdou. Lui et deux autres anciens
salariés viennent chaque jour à l’asile, bien qu’ils ne soient plus
payés depuis des mois.
Cet édifice imposant, construit dans la Vieille ville, autrefois
bruyante et bondée, compte une trentaine de chambres autour de deux
cours d’où l’on peut admirer la majestueuse cité médiévale.
Il a été touché à plusieurs reprises par l’artillerie du régime de
Bachar al-Assad, qui réprime dans le sang depuis mi-mars 2011 un
soulèvement populaire devenu au fil des mois une rébellion armée.
"Quand on est bombardé, on met tous les patients dans la même chambre
pour éviter qu’ils deviennent trop nerveux et on essaie de les calmer",
raconte Abou Abdou, pointant du doigt un énorme trou, impact d’un obus.
Depuis quatre mois, "les docteurs ont cessé de venir par peur des
bombes. Même le directeur passe au mieux que deux ou trois fois par
semaine".
Nus pieds sous des trombes d’eau glaciale, Walid Assiad déambule d’un
mur à l’autre dans la cour. Dans une chambre, Mohammad grelotte,
recroquevillé sous une fine couverture. Partout, le froid se fait
mordant.
"Et le pire reste à venir", avertit Abou Abdou. "Quand arriveront le gel
et la neige, ça va être terrible. J’ai peur que beaucoup d’entre eux ne
passent pas l’hiver. Sans chauffage, ils sont condamnés à mourir de
froid".
Dar al-Ajaza n’abrite pas que des handicapés mentaux : on y rencontre
aussi des personnes âgées ayant perdu toute leur famille, des gens
atteints du syndrome de Down, des handicapés physiques.
Dans le deuxième bâtiment se trouve la pire pièce de tout l’hôpital. Y
sont enfermés ceux dont l’état ne permet pas de les laisser errer seuls.
Un fois ouvert le verrou bloquant une double porte en verre, l’odeur
est nauséabonde, mêlant effluves d’urine, de fèces et de vomis.
Douze patients sont regroupés dans 10 mètres carrés -onze d’entre eux se
partagent trois matelas jaunâtres, et le dernier, qui ne peut bouger
que les bras et le cou, est allongé sous une couverture. Il est couvert
de blessures et le chevet de son lit est souillé de vomissures.
"Nous les lavons chaque jour, car la plupart ne sont pas capables
d’aller seuls aux toilettes, et ils se font dessus", affirme Abou Abdou.
Sans médicaments, "nous ne pouvons absolument rien faire pour les aider
quand ils ont des crises violentes, si ce n’est les enfermer seuls dans
une chambre jusqu’à ce qu’ils se lassent de frapper", commente
l’infirmier en refermant la porte.
(20 Décembre 2012 - Assawra)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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