Pendant que des milliers de partisans du président égyptien Mohamed
Morsi chassaient mercredi soir ses opposants qui assiégeaient le palais
présidentiel, faisant cinq morts, d’autres scènes tout aussi sanglantes
se déroulaient près de cette même enceinte. D’après le quotidien
égyptien Al-Masry Al-Youm (proche de l’opposition), les manifestants
arrêtés ont été envoyés dans des "salles de torture", en face du palais.
Façonnée à la main grâce à des barrières de fer, la "chambre centrale
de torture" se trouvait face à la mosquée Omar Ibn Abdel Aziz, sur la
rue al-Merghany.
"Ces salles étaient interdites aux journalistes, raconte le
journaliste Mohamed el-Garhi. J’ai pu m’y infiltrer, car je connaissais
bien un confrère de Misr 25 TV, une chaîne appartenant aux Frères
musulmans." À l’intérieur, des policiers en uniforme, mais aussi des
agents en civil, du poste de police de Nozha. Outre les forces de
sécurité figurent 15 membres de la confrérie des Frères musulmans, qui
répondent aux ordres de 3 individus barbus. "Ce sont eux qui décident
qui doit être là ou pas", raconte Mohamed el-Garhi dans son article.
Comprenez : leurs ordres surpassent ceux des forces de la sécurité
centrale.
D’après le journaliste, il existait plusieurs "chambres" de ce type.
"Les chambres étaient improvisées, et il n’était pas évident de
déterminer leur nombre", explique Mohamed el-Garhi dans son reportage.
"Lorsqu’un individu était arrêté, une chambre était édifiée près du
bâtiment." Une dizaine de manifestants est jetée dans la pièce où se
trouve le reporter. Ils viennent d’être arrêtés lors du rassemblement de
mercredi réclamant l’abrogation du décret présidentiel du 22 novembre,
ainsi que l’annulation du référendum sur la nouvelle Constitution.
Les opposants sont vite pris à partie par les Frères, qui les
frappent violemment au visage et sur le corps à l’aide de bâtons. Avant
de déchirer leurs vêtements, les militants islamistes prennent soin de
leur confisquer leur carte d’identité, téléphone portable ou argent.
"Tout cela s’est déroulé devant les yeux des forces de police du
ministère de l’Intérieur, qui ont laissé faire", assure le journaliste.
Déjà blessés, les opposants sont alors soumis au véritable
interrogatoire.
Son but : amener le manifestant à avouer qu’il est un "voyou". Les
questions fusent. Les coups aussi : "Pourquoi vous êtes-vous rendu dans
la rue ? Avez-vous reçu de l’argent pour manifester ? À quel mouvement
appartenez-vous ? Celui de Mohamed El Baradei, celui de Hamdeen Sabbahi
ou l’ancien parti de Hosni Moubarak (aujourd’hui dissous, NDLR) ?" Des
cris résonnent dans la cellule improvisée. "Je suis ami avec tous les
cheikhs (sages), jure l’un d’entre eux. Je suis un musulman comme vous."
À ses côtés, un homme en sang hurle : "Je suis une personne éduquée.
J’ai une voiture. Est-ce que je ressemble à un voyou ?"
Dans la même pièce, un autre prisonnier est molesté, car accusé
d’être un proche de l’ancien porte-parole du Parlement sous Moubarak,
Fathi Sorour. Si les détenus persistent à nier, les coups et les
insultes pleuvent d’autant plus. D’après Mohamed el-Garhi, certains des
détenus sont frappés si violemment qu’ils ne peuvent bientôt plus
répondre aux questions de leurs geôliers. Pourtant, aucune aide médicale
ne leur est apportée. "Il y avait du sang visible sur le sol, à
l’extérieur des chambres, raconte le journaliste d’Al-Masry Al-Youm.
Certains Frères ont essayé de le cacher en le couvrant de poussière,
mais il restait parfois visible."
La torture achevée, un membre de la confrérie transmet les cartes
d’identité et les effets personnels des prisonniers à un haut
responsable de police. Certains des Frères ont affirmé avoir retrouvé
sur les détenus des armes. Mais les geôliers savent se montrer cléments.
Ils ont offert aux prisonniers des bouteilles d’eau. Sans compter que
le haut responsable de la police a demandé aux trois chefs islamistes de
les aider à transférer les 10 détenus au poste de police Nozha. Il
craint en effet qu’ils ne soient de nouveau pris à partie par les
partisans de Mohamed Morsi à l’extérieur du palais. Toutefois, dès que
ce groupe est évacué, un autre fait son entrée dans la chambre centrale.
"Outre notre journaliste, ces chambres de torture ont été citées par
plusieurs manifestants, hommes et femmes, qui affirment en avoir été
victimes", assure au Point.fr Lina Attalah, rédactrice en chef de la
version anglaise du site Al-Masry Al-Youm. "Ce qui est inquiétant dans
cette histoire est que les policiers n’ont rien fait pour empêcher les
Frères musulmans d’agir, ce qui dénote une certaine complicité." De leur
côté, les Frères musulmans ont strictement démenti l’existence de toute
"chambre de torture". "Les photos que j’ai prises prouvent que cela est
bel et bien arrivé", répond Mohamed el-Garhi.
(10 Décembre 2012 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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