Comme prévu, la conférence « Genève 2 » concernant la crise syrienne
fut un échec. On s’y attendait, puisque les préparatifs de cette
conférence – ajournée maintes fois durant l’an 2013 – n’avaient même pas
donné lieu à une petite ouverture vers une ébauche de solution
politique possible… Il faut dire que les deux tuteurs de cette
conférence, les Etats-Unis et la Russie, ne sont pas encore d’accord sur
les grandes lignes de la solution attendue, en premier lieu sur le sort
qui doit être réservé à Bachar Assad à la fin de son mandat (mai 2014)
ou, encore, sur le futur régime politique en Syrie. Bien plus, ils sont
en désaccord total, tant sur la participation de l’Iran aux pourparlers
que, surtout, sur la situation explosive en Ukraine envenimée par
l’intervention étasunienne (et non seulement européenne) dans les
affaires intérieures de ce pays dans le but d’encercler la Russie de
Poutine après avoir eu raison d’un de ses principaux alliés.
Et, si nous ajoutons à cela les désaccords entre les différentes
factions de l’opposition syrienne au régime baasiste et les combats
sanglants qui se déroulent entre elles (combats dus à l’immixtion de
l’Arabie saoudite et de la Turquie), nous pourrons dire dès maintenant
que « Genève 3 » aura le même sort que les deux conférences qui l’ont
précédée et qu’elle se terminera par une déclaration dite « de
principe » qui ne sera jamais appliquée.
Les belligérants et les conditions contraires
Si nous étudions de plus près ce qui s’était passé dans les salles où la
conférence « Genève 2 » s’était tenue, nous ne pouvons que nous arrêter
sur les discours des antagonistes.
En effet, ni le ton ni le contenu ne pouvaient laisser la moindre lueur
d’espoir, tant de la part des chefs des deux délégations syriennes que
de celle des pays qui étaient présents, à Montreux notamment. En voilà
la preuve.
Prenons, d’abord, l’opposition syrienne. Supervisée par Washington et
venue de l’extérieur (principalement de la Turquie), cette opposition
avait insisté sur un seul point, le huitième de la déclaration de la
première conférence de Genève : la formation d’un gouvernement
transitoire qui pourrait, selon Ahmad Jarba, faciliter la mise en place
d’une solution politique. Et le même Jarba d’ajouter que la délégation
gouvernementale syrienne doit signer une document selon lequel les
prérogatives du président de la république syrienne seront transmises à
un tel gouvernement qui aura, plus tard, pour mission de traduire en
justice Assad ainsi que tous ceux de son entourage qui seraient accusés
d’avoir commis des crimes…
Sur l’autre versant, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid
Moallem, a lancé une contre-offensive dans laquelle il accusa
l’opposition de haute trahison, parce qu’elle avait vendu – selon lui –
son âme à Israël et facilité la guerre des terroristes contre la Syrie
tout en lui donnant un aspect légal. De plus, Moallem refusa toute
discussion concernant la gouvernement de transition, parce que,
disait-il, « c’est le peuple syrien qui donne la légalité au
président », affirmant que la Syrie ferait tout ce qui est nécessaire
afin de se défendre tout en faisant fi des cris et des déclarations de
certains.
Ces deux positions contradictoires, nous les retrouvons dans les
discours des représentants des Etats-Unis et de la Russie mais aussi de
tous ceux qui avaient participé à l’ouverture de « Genève 2 ».
En effet, le ministre saoudien des affaires étrangères Saoud Fayçal et
avec lui le secrétaire général de la « Ligue arabe » se sont étendu sur
les points soulevés par Ahmad Jarba, donnant, à leur tour, une passe à
John Kerry qui a exigé la démission de Bachar Assad en tant que prélude à
la solution politique en Syrie. Par contre, Sergei Lavrov a mis en
garde contre « toute solution venant de l’extérieur », surtout avec les
conditions difficiles vécues par tous les pays de la région…
Les causes visibles et les causes tacites
Tout cela nous pousse à nous demander sur le pourquoi de « Genève 2 » et
sur les raisons, tacites, qui ont poussé le régime syrien et
l’opposition basée en dehors du pays à accepter de se rencontrer avant
de se déclarer, rapidement, hostiles à toute solution réelle et de
livrer l’arène aux « experts » ?
Il va sans dire que la cause première a rapport avec ce qui se passe sur
le terrain, en Syrie même. Le régime de Bachar Assad tout aussi bien
que l’opposition misaient sur des changements sur le plan militaire
avant la tenue de la conférence de Genève ; prévisions basées sur les
combats qui avaient eu lieu durant les premiers six mois de 2013.
Cependant, les deux belligérants n’ont pas pu effectuer le moindre
changement, malgré la violence des combats autour d’Alep et près des
frontières libanaises. En effet, la victoire, remportée à Koussair par
le régime ne fut pas suivie par d’autres, comme certains le prévoyaient,
surtout dans les deux régions de Kalamoun et d’Alep. De plus,
l’exacerbation des problèmes socio-économiques, l’extension du rôle de
la mafia qui œuvre sous la cape du régime ainsi que les changements dans
les postes gouvernementaux ont donné l’impression que rien n’allait.
D’autre part, la violence gratuite et sauvage (assassinats de civils),
de la part des factions islamistes dites « djihadistes » (telle « La
République Islamique en Irak et dans la région de Damas » ou encore « Le
Front An Nosra »), a terni l’image de l’opposition, toutes factions
confondues ; image déjà ternie par les combats intérieurs mais aussi par
l’augmentation du nombre des déplacés forcés loin des zones où les
combats font rage et par les destructions généralisées de villages et de
villes…
Il était, donc, nécessaire et urgent pour les deux parties de recourir à
une trêve temporaire ; trêve voulue aussi, peut-être par les Etats-Unis
et la Russie afin de réexaminer la situation en Syrie, mais aussi dans
tout le Moyen Orient, et de revoir la part que chacun d’eux a pu ou
pourra acquérir sur le plan des sources d’énergie découvertes dans le
bassin oriental de la Méditerranée. C’est cette trêve qui a ouvert la
voie à la tenue de « Genève 2 ».
Et, puisqu’il s’agit d’une trêve, cela ne veut pas dire que les
belligérants et les grandes puissances qui les soutiennent ont
l’intention de voir avancer la solution politique ; bien au contraire.
Voilà pourquoi nous nous attendions à ce que « Genève 2 » échoue ;
surtout que le régime et l’opposition, représentée par « L’Alliance
patriotique », se ressemblent sur bien de points : non seulement ils
rassemblent les représentants les plus illustres de la grande
bourgeoisie syrienne, mais ils ont aussi la même position en ce qui
concerne les politiques économiques (et sociales) néolibérales
préconisées par le FMI. Ces mêmes politiques qui furent à la base de la
crise qui avait éclaté il y a de cela trois ans déjà.
Comment voyons-nous l’avenir ?
Pour toutes ces raisons, la conférence « Genève 2 » ne pouvait, donc,
aboutir à réaliser les aspirations du peuple syrien, principalement les
aspirations à un cessez-le-feu qui permettrait d’ouvrir la voie toute
grande devant la solution politique.
A cela, nous ajoutons deux autres problèmes qu’il faudrait résoudre rapidement.
Le premier concerne la situation des réfugiés syriens dont le nombre a
déjà dépassé les neuf millions, selon les rapports publiés par l’ONU à
la fin de 2013 ; ces mêmes rapports qui citent la somme de 54 milliards
de dollars comme coût annuel pour encadrer les réfugiés, montrant la
gravité de la situation, non seulement sur l’économie syrienne mais
aussi sur celle des pays voisins (dont le Liban, en particulier).
Quand au second problème, il a rapport avec la reconstruction évaluée,
jusqu’à ce jour, à quelques 200 milliards de dollars qui vont
augmentant si les combats se poursuivent dans les zones actuelles et,
surtout, s’ils s’étendent à d’autres zones encore épargnées. Et, si nous
considérons l’expérience de la guerre étasunienne contre l’Irak ou,
encore, l’expérience libanaise à la suite de la guerre civile (qui
détruisit le centre-ville de Beyrouth et le livra à la société surnommée
« Solidere » formée par l’ex président du Conseil Rafic Hariri), si
nous rappelons le rôle négatif des Etats arabes et des grandes
puissances capitalistes dans l’énorme dette qui pèse, aujourd’hui, sur
le peuple libanais, suite aux diktats de la Banque mondiale et du FMI,
nous dirons que la Syrie n’échappera pas à un tel sort ; elle sera prise
en étau par les puissances impérialistes ainsi que par la Russie, ce
qui se traduira, certainement, par une instabilité économique, d’une
part, et l’exacerbation des tensions religieuses et confessionnelles,
d’autre part.
En clair, cette situation va empêcher le peuple syrien de réaliser ses
aspirations de changement. Parce que ce qui se profile à l’horizon,
c’est soit le retour au régime baasiste actuel, de peur de voir les
ultra islamistes au pouvoir, soit un consensus entre le régime actuel et
les représentants de la grande bourgeoisie dans l’opposition. Et, dans
les deux cas, l’horizon du changement démocratique est fermé à cause de
l’inertie des forces du progrès qui, seuls, ont intérêt à œuvrer pour le
changement radical.
(05-02-2014 - D. Marie Nassif-Debs)
Cet article fut publié dans le numéro 230 du bimensuel « An Nidaa »
Paru le 31 janvier 2014
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