Il est des imprudences à ne commettre sous aucun prétexte en Israël.
Critiquer l’État hébreu au coeur de la Knesset en fait partie. Martin
Schulz l’a appris à ses dépens. Invité par le Parlement israélien à
l’occasion d’une visite de cinq jours au Proche-Orient, le président du
Parlement européen s’est attiré les foudres de députés après les avoir
questionnés sur l’inégalité de l’accès à l’eau entre Israéliens et
Palestiniens. Pis, certains élus sont même allés jusqu’à quitter
l’enceinte. Rien ne laissait pourtant présager d’une telle issue.
Dans son discours prononcé mercredi dernier devant la Knesset, Martin
Schulz se livre tout d’abord à une apologie passionnée de l’État hébreu.
Le président du Parlement européen loue les vertus de la "robuste
démocratie israélienne", une "société vibrante et ouverte avec tous les
débats que cela implique, ainsi qu’une économie moderne". Un pays qui
"incarne l’espoir chéri par tout un peuple de pouvoir vivre en liberté
dans sa propre patrie".
Dérapage
C’est donc tout naturellement que Martin Schulz a souligné le droit
d’Israël à l’autodéfense face aux "attaques terroristes (...) contre des
personnes innocentes", autrement dit les roquettes tirées sur Israël en
provenance de Gaza. De la même façon, l’Allemand a justifié les
inquiétudes de l’État hébreu face au programme nucléaire iranien, "une
menace non seulement pour Israël, mais aussi pour la paix du monde en
général". Mais ce plaidoyer va être quelque peu "terni" par quelques
remarques sur l’alarmante situation dans les territoires palestiniens.
Un dérapage, vont même estimer plusieurs députés du parti nationaliste
religieux Foyer juif.
Martin Schulz fait part de sa rencontre, deux jours plus tôt, avec de
jeunes Palestiniens de Ramallah, en Cisjordanie. "La question que ces
gens m’ont posée et que j’ai trouvée le plus émouvante - même si je ne
pouvais pas vérifier les chiffres exacts - fut la suivante : comment se
fait-il qu’un Israélien est autorisé à utiliser 70 litres d’eau par jour
et un Palestinien seulement 17 ?" L’embarras est palpable dans l’arène.
Des voix s’élèvent même du côté du Foyer juif. Le président du
Parlement européen poursuit malgré tout.
Excuses exigées
"Le blocus de la bande de Gaza est votre réponse aux attaques sur les
civils israéliens et je peux le comprendre. Mais il étouffe tout
développement économique et conduit les peuples au désespoir - un
désespoir qui à son tour est exploité par les extrémistes. En réalité,
le blocus mine, plus qu’il ne renforce, la sécurité d’Israël." Cette
fois, c’en est trop. Les députés du parti pro-colons, dont son
charismatique leader, le ministre de l’Économie Naftali Bennett, se
lèvent et claquent la porte de la Knesset.
Le ministre exige alors des "excuses du président du Parlement européen,
qui a répété deux mensonges que lui ont fait gober les Palestiniens".
"Je n’accepterai pas de faux discours moralisateur contre Israël dans
notre Parlement. Certainement pas en allemand", s’emporte-t-il sur sa
page Facebook. Si le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou se
garde bien, quant à lui, de fustiger l’attitude de Martin Schulz, il lui
reproche tout de même d’avoir cité de mauvais chiffres sans les avoir
vérifiés au préalable. "Peut-être la réaction de certains députés
a-t-elle été exagérée", admet aujourd’hui Yaron Gamburg, porte-parole de
l’ambassade d’Israël en France. "Mais il est malheureux qu’en ne
vérifiant pas ses chiffres, Martin Schulz soit ainsi tombé dans le piège
de la propagande palestinienne, ce qui est très grave."
"Discrimination indéniable" (ONG)
"Les propos de Martin Schulz ont été rapportés comme une accusation
grave, alors qu’il a simplement posé une question qui rapportait une
situation problématique évoquée à plusieurs reprises lors de sa visite
en Palestine", souligne son entourage. "Quant aux chiffres prononcés, si
ceux-ci ne sont peut-être pas tout à fait exacts, ils restent dans le
même ordre de grandeur que ceux admis par l’ONU et les ONG
indépendantes."
L’ONG israélienne des droits de l’homme B’Tselem estime qu’une
"discrimination indéniable" est en effet pratiquée par le gouvernement
israélien dans le volume d’eau alloué aux Palestiniens. Selon la
compagnie nationale israélienne de l’eau, Mekorot, la consommation
moyenne en eau des 8 millions d’Israéliens oscille entre 100 et 230
litres par personne et par jour. Côté palestinien, la consommation
moyenne quotidienne en Cisjordanie pour les foyers reliés au réseau
d’eau s’élève à 73 litres, alors que l’Organisation mondiale de la santé
recommande un minimum de 100 litres. À Gaza enfin, la consommation
moyenne est comprise entre 70 et 90 litres par personne et par jour,
mais pour une qualité d’eau "extrêmement pauvre".
Quatre fois plus d’eau qu’un Palestinien
Pour sa part, l’Autorité palestinienne de l’eau évalue la consommation
moyenne des 4,3 millions de Palestiniens (2,7 en Cisjordanie, 1,6 à
Gaza) à 73 litres d’eau par jour, contre plus de 242 pour les
Israéliens. Ce rapport (3,3) est légèrement plus important pour la
Banque mondiale qui, en 2009, estimait qu’un Israélien disposait en
moyenne de quatre fois plus d’eau qu’un Palestinien.
Le partage de l’eau entre Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie a
été déterminé par les accords d’Oslo II signés en 1995. En vertu du
texte, les Palestiniens se voient allouer 118 millions de mètres cubes
par année, alors qu’Israël se réserve 483 millions de mètres cubes,
toute quantité supplémentaire étant vendue à prix coûtant par l’État
hébreu. Problème, ces accords intérimaires étaient censés durer cinq
ans, avant la création du futur État palestinien qui devait aboutir à
une renégociation complète. Or, près de vingt ans plus tard, Oslo II
tient toujours, bien que la population palestinienne - et donc ses
besoins - ait doublé.
"Technologie avancée"
"Nous avons augmenté la quantité d’eau en conséquence", assure Yaron
Gamburg, qui invite à ne pas "jouer avec les chiffres entre Israéliens
et Palestiniens". "L’économie israélienne étant plus avancée que
l’économie palestinienne, les besoins sont différents", souligne le
porte-parole de l’ambassade d’Israël en France, qui revendique pour sa
part un rapport de 2. Le diplomate ajoute que la quasi-totalité des
Palestiniens de Cisjordanie (près de 95 %, NDLR) demeurent aujourd’hui
connectés au réseau d’eau produit par Israël, bénéficiant ainsi de sa
"technologie avancée". Là-dessus, le rapport de la Banque mondiale
pointe le grand déséquilibre en faveur d’Israël dans les techniques de
puisage d’eau en territoire palestinien.
D’après le quotidien israélien Haaretz, "seules 20 % des ressources en
eau en Cisjordanie vont aux Palestiniens, contre 80 % aux Israéliens".
Un constat renforcé par l’impossibilité pour l’Autorité palestinienne
d’accéder aux eaux du Jourdain. Plus grands bénéficiaires de cette
manne, les colons israéliens, dont la présence en territoire palestinien
est pourtant illégale au regard du droit international. La question
hautement stratégique du partage de l’eau au Proche-Orient a été au
centre d’un rapport d’information pour la commission des Affaires
étrangères de l’Assemblée nationale.
L’"inquiétude" de Martin Schulz
Remis en décembre 2012 par le député socialiste et ancien ministre de
l’Agriculture Jean Glavany, le document décrit la question de l’eau
comme "révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen-Orient". "Il faut
savoir, par exemple, que les 450 000 colons israéliens en Cisjordanie
utilisent plus d’eau que 2,3 millions de Palestiniens", souligne
notamment le rapport français, qui a été conspué en Israël.
Car pour Yaron Gamburg, le travail de Jean Glavany s’inscrit dans la
même logique que les déclarations de Martin Schulz. "Il existe de plus
en plus, en Europe, une écoute sélective des Palestiniens, qui accusent
Israël de tous les maux sans vérifier les chiffres exacts", affirme le
porte-parole israélien. Or, à en croire le diplomate, "ce genre de
tentative crée des obstacles pour empêcher le dialogue entre Israéliens
et Palestiniens".
Au contraire, Martin Schulz a fait part jeudi, dans les colonnes du
quotidien allemand Die Welt, de "sa surprise" et de "son inquiétude"
après l’incident survenu à la Knesset, non sans rappeler qu’il avait
prononcé "un discours pro-Israël". Mais son entourage de souligner
toutefois que "ce ne sont pas tous les députés qui ont quitté
l’enceinte, mais une poignée d’élus d’extrême droite".
(18-02-2014 - Armin Arefi)
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