mercredi 12 décembre 2012

Israël/Palestine : le poids des mots (Armin Arefi)

C’est le discours qui effraie l’État hébreu. En déplacement pour la première fois de sa vie à Gaza, Khaled Mechaal, chef en exil du Hamas au pouvoir dans la bande de terre palestinienne, a appelé à libérer toute la Palestine", excluant de fait toute reconnaissance de l’État d’Israël. "La Palestine, de la mer (Méditerranée) au fleuve (Jourdain), du nord au sud, est notre terre et notre nation, dont on ne peut céder ni un pouce ni une partie", a-t-il insisté, assurant vouloir "mourir en martyr à Gaza", devant une marée humaine, dont beaucoup de femmes et d’enfants, arborant les emblèmes verts du Hamas, dont c’était le 25e anniversaire.
Des déclarations d’autant plus étonnantes que Khaled Mechaal, longtemps considéré comme faisant partie de l’aile dure du mouvement islamiste, avait semblé s’assagir ces derniers temps. Tandis que la charte du Hamas prône la destruction de l’État hébreu, ainsi que la reconquête de l’ensemble de la Palestine du mandat britannique, le dirigeant islamiste avait déclaré en décembre 2008 à des journalistes être prêt à accepter un État palestinien dans les frontières de 1967. C’est-à-dire avec la Cisjordanie et la bande de Gaza, le droit au retour des réfugiés, mais sans les colonies israéliennes.
Cette idée était de nouveau induite dans son récent soutien public à la démarche palestinienne de Mahmoud Abbas à l’Assemblée générale de l’ONU, qui a abouti à l’élévation du statut de la Palestine à celui d’État non membre observateur. Comment expliquer ce changement de ton ? "Après son départ de Damas, Mechaal, qui vit aujourd’hui à Doha (Qatar), est en négociations avec trois pays - le Qatar, l’Égypte et la Jordanie - pour y installer durablement le siège du Hamas à l’étranger", explique Olivier Danino (1), spécialiste du Hamas à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas).
"Or, ces trois États étant alliés des États-Unis, ils font depuis pression sur lui afin qu’il tienne des propos plus nuancés à l’encontre d’Israël, ce qui lui a attiré les critiques des cadres du mouvement à Gaza. "En déplacement à Gaza, poursuit le chercheur, Khaled Mechaal vise en premier lieu ces mêmes cadres à qui il rappelle que ses revendications sont les mêmes que les leurs." Pour Julien Salingue (2), chercheur en sciences politiques, la rhétorique de cet homme politique palestinien est "évidemment différente lorsqu’il s’adresse à un comité de journalistes depuis l’étranger et lorsqu’il s’exprime devant une foule de Gazaouis, meurtris par la dernière guerre de Gaza".
Ce spécialiste des mouvements palestiniens ajoute que la position de Khaled Mechaal rejoint celles des autres organisations palestiniennes. "Aucune, y compris le Fatah, n’évoque la possibilité de deux États vivant côte à côte en tant que solution définitive", rappelle-t-il. Le discours anti-israélien du chef du Hamas en exil a en tout cas fortement déplu à Israël, qui avait pourtant indirectement négocié avec lui une trêve à Gaza, faisant du mouvement islamiste son principal interlocuteur en territoire palestinien.
"Lors de la journée d’hier, nous avons pu voir à nouveau le vrai visage de nos ennemis. Ils n’ont aucune intention de parvenir au moindre compromis avec nous, ils veulent détruire notre pays", a réagi dimanche Benyamin Netanyahou. Mais le Premier ministre israélien s’en est également pris à Mahmoud Abbas, notant que le chef de l’Autorité palestinienne "n’a pas condamné les propos (du Hamas) appelant à la destruction d’Israël, tout comme précédemment il n’a pas condamné les tirs de roquettes sur Israël".
Pour ne pas fournir aux activistes palestiniens un autre territoire d’où ils puissent attaquer l’État hébreu, le chef du gouvernement israélien a indiqué qu’il ne se retirerait pas de Cisjordanie, où la colonisation se poursuit en dépit du droit international. "Les Israéliens avaient tous les moyens, s’ils l’avaient voulu, d’empêcher cette démonstration (de Khaled Mechaal). Ils tiennent toute la bande de Gaza sous le feu de leur artillerie, de leurs drones, de leur aviation, de leur marine", écrit Pierre Beylau, chef du service International du Point dans sa chronique "Où va le monde".
"Le Premier ministre Benyamin Netanyahou s’est bien gardé de la moindre initiative visant à perturber cette prestation. Et pour cause : à quelques semaines des prochaines élections législatives, en janvier, le Hamas est le meilleur ennemi du Premier ministre, archi-favori dans les sondages, poursuit Pierre Beylau. Plus les Palestiniens tiennent des propos extrémistes, plus il est facile de démontrer que tout dialogue est impossible avec eux." Pour Julien Salingue, la véritable question demeure celle du sens de l’expression "reconnaissance d’Israël".
"Khaled Mechaal est prêt à reconnaître indirectement l’État d’Israël", assure le chercheur. "Confrontés au quotidien à l’occupation, les dirigeants du Hamas sont les mieux placés pour admettre la réalité sur le terrain. Mais derrière cette idée, Israël souhaite que les Palestiniens reconnaissent Israël en tant qu’État juif", soutien Julien Salingue. "Or, cela, le Hamas comme le Fatah ne peuvent l’admettre, car cela signifierait alors tirer un train sur les droits des 1,2 million de Palestiniens qui vivent en Israël, et surtout renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens."
Cette complexe réalité n’a pas empêché le ministre israélien des Affaires étrangères, de saisir l’occasion du discours enflammé de Khaled Mechaal pour tirer à boulets rouges... sur l’Europe. Accusant le vieux continent de n’avoir "une fois de plus pas tenu compte des appels à la destruction d’Israël", l’ultranationaliste Avigdor Lieberman a rappelé que l’"on a déjà connu cela à la fin des années 30 et au début des années 40 lorsque l’Europe savait ce qui se passait dans les camps de concentration et n’a pas agi".
Profitant des circonstances pour fustiger les condamnations internationales contre le nouveau projet de colonisation israélienne en Cisjordanie, le chef de la diplomatie israélienne a estimé qu’en agissant de la sorte "l’Europe s’est donné une gifle à elle-même". "Lorsqu’on sacrifie les Juifs, il faut se demander qui sera le suivant", a-t-il insisté. Des propos qui ont immédiatement été dénoncés par le numéro deux du parti travailliste (opposition), Yitzhak Herzog. Pour lui, Avigdor Lieberman sème la "peur et l’angoisse parmi les Israéliens en établissant un lien entre la situation actuelle et la Shoah".

(12 Décembre 2012 - Armin Arefi)

(1) Olivier Danino, auteur de Le Hamas et l’édification de l’État palestinien (éditions Karthala).

(2) Julien Salingue, auteur de À la recherche de la Palestine (éditions du Cygne).

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