Des
centaines de juifs américains ont manifesté dimanche 26 mars à
Washington pour dénoncer le soutien de l'AIPAC à l'occupation
israélienne.
La politique de l'État d'Israël ne fait pas l'unanimité auprès de la
communauté juive des États-Unis. Voilà l'un des enseignements inattendus
de la conférence annuelle de l'AIPAC (American Israel Public Affairs
Committee), le puissant lobby pro-israélien aux États-Unis. Pendant que
près de 18 000 personnes – un record – étaient réunies dimanche à
l'intérieur du centre de convention de Washington pour appeler au
soutien inconditionnel de l'État hébreu, des centaines de jeunes juifs
américains étaient massés devant le bâtiment pour manifester leur refus
de soutenir l'occupation israélienne en territoire palestinien.
« If not now, when ? (Si ce n'est pas maintenant, alors quand ?) »,
scandait une foule de manifestants en marchant vers le centre de
conférence, en référence à la déclaration de Hillel Hazaken, dit Hillel
l'Ancien, une des plus grandes figures du judaïsme. « Ce n'est pas parce
qu'on est juif que notre soutien à Israël doit être inconditionnel »,
explique Yonah Lieberman, l'un des cofondateurs d'IfNotNow, un
mouvement juif américain qui se dit apolitique et à l'origine du
rassemblement. « La communauté juive américaine a un rôle-clé dans le
soutien à l'occupation. Or celle-ci est un cauchemar pour les
Palestiniens et un désastre moral tant pour ceux qui l'administrent que
pour ceux qui la soutiennent. »
Jeunes et enjoués, les manifestants entonnent le refrain « nous
construirons ce monde avec de l'amour » en faisant traverser des
banderoles bleues censées rappeler la mer Rouge, franchie par Moïse et
le peuple juif pour gagner sa liberté. Né à Tel-Aviv, Abraham Gutman est
arrivé aux États-Unis à l'âge de 21 ans. « Je me sentais comme un
étranger dans les milieux juifs américains, raconte-t-il. Les gens
étaient tout excités à l'idée que je sois israélien, mais je les
décevais en raison de mes idées politiques (opposées à celles de
Netanyahu). »
Abraham Gutman, qui habite aujourd'hui à Philadelphie, n'aurait manqué
ce rassemblement à Washington pour rien au monde. « Je manifeste, car
l'AIPAC, une organisation de droite et de faucons, affirme parler au nom
de tous les juifs. Or, en tant qu'Israélien, il était important à mes
yeux de me soulever et de rejeter cette notion. Pour montrer qu'il y a
des Israéliens et des juifs qui souhaitent un ordre différent, qui
rejettent l'oppression et œuvrent pour la liberté et la dignité de
tous. »
La police de Washington a laissé les manifestants accéder au perron de
l'édifice, où plusieurs contestataires s'enchaînent devant les portes
d'entrée en verre pour en bloquer l'accès. L'un d'entre eux brandit une
pancarte sur laquelle est écrit « Réclamez, réinventez, résistez ». Ce
sont les mots de Doña Gracia Nasi, qui a utilisé du XVIe siècle sa
fortune pour sauver les juifs de l'Inquisition. Postés en direct sur les
réseaux sociaux, les clichés sont accompagnés des hashtags
JewishResistance (résistance juive) et ResistAIPAC (résistez à
l'AIPAC).
Devant un tel spectacle, plusieurs militants de l'AIPAC s'arrêtent et
prennent les manifestants en photo, qui leur répondent en les saluant de
la main. Certains manifestants parviennent alors à pénétrer à
l'intérieur du centre de conférence, où ils déploient deux grandes
bannières appelant à rejeter l'AIPAC et l'occupation. Reconduits sans
ménagement par l'équipe de sécurité, les protestataires entament alors
le chant de paix juif « Lo Yisa Goy ».
Mais la situation s'envenime à l'extérieur, avec l'intervention d'une
dizaine de membres de la Jewish Defense League (JDL, Ligue de défense
juive). Portant des drapeaux de l'organisation fondée par le rabbin
d'extrême droite Meir Kahane, les militants de la JDL s'en prennent,
parfois violemment, aux manifestants, forçant la police à intervenir.
« Ils sont venus pour nous menacer. Beaucoup d'entre eux avaient le
visage couvert », raconte Abraham Gutman. « Et c'est là toute l'ironie.
Rien dans le judaïsme ne peut justifier la violence contre un militant
pacifiste. Pourtant, la JDL dit agir au nom du judaïsme. Et l'AIPAC
affirme que je ne suis pas assez juif, car je ne soutiens pas
l'oppression du peuple palestinien et que je critique Israël, qui est
aussi mon pays de naissance ! Cela est insensé ! »
Dans le centre de convention, devant le vice-président américain Mike
Pence, l'ambassadeur d'Israël aux États-Unis, Ron Dermer, se félicite
que, « pour la première fois depuis de nombreuses années, peut-être des
décennies, il n'y (ait) pas de décalage entre Israël et les
États-Unis ». Depuis l'arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump,
perçu comme un fervent défenseur de l'État hébreu, la colonisation
israélienne a, en effet, connu une soudaine accélération malgré
l'adoption en décembre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU
rappelant son caractère illégal et appelant à y mettre un terme.
Au cours du seul mois de janvier, Israël a annoncé cinq extensions de
colonies portant sur plus de 6 000 logements en Cisjordanie et à
Jérusalem-Est occupées. Le 6 février, le Parlement israélien a adopté
une loi permettant la régularisation de « colonies sauvages » en
Cisjordanie, pourtant illégales au regard du droit israélien. S'il est
appliqué, ce texte annihilera définitivement sur le terrain tout espoir
d'État palestinien. La nouvelle administration américaine a eu beau
finir par exprimer son « inquiétude » quant à la poursuite de la
colonisation, elle n'a toujours pas défini de position claire sur le
sujet, d'autant que le négociateur de Donald Trump sur le Proche-Orient,
Jason Greenblatt, ou le nouvel ambassadeur en Israël, David Friedman,
sont d'ardents défenseurs de la colonisation.
Toujours officiellement favorable à la solution à deux États, mise à mal
par la poursuite effrénée de la colonisation, l'AIPAC demeure murée
dans le silence sur le sujet. Mais elle n'hésite pas à fustiger toute
critique de la politique israélienne aux États-Unis, et offre l'image
d'une organisation œuvrant davantage pour la droite, si ce n'est
l'extrême droite, israélienne que pour les intérêts de la communauté
juive américaine. Si des organisations juives de gauche, comme JStreet
et désormais IfNotNow, ont vu le jour pour contrer la mainmise de
l'AIPAC sur leur communauté, leur action reste limitée par rapport à la
force de frappe tant financière que politique du principal lobby
pro-israélien.
Une réalité qui ne semble pas entamer l'enthousiasme débordant de Yonah
Lieberman, de IfNotNow, mouvement qui compte quelque 1 300 membres
répartis sur 10 villes. « Il est vrai que nous sommes petits »,
admet-il. « Mais nous venons d'organiser la plus grande manifestation
juive contre l'AIPAC de l'histoire ! Et, avec l'arrivée au pouvoir de
Donald Trump et les cinquante ans de l'occupation, nous vivons un moment
unique qui nous appelle à prendre des actions morales compatibles avec
les valeurs juives de liberté et de dignité pour tous les peuples. » Et
le jeune juif américain d'insister : « Il ne dépend que de nous de
changer le statu quo. »
(30-03-2017
- Par Armin Arefi)
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