C’est un havre de paix dans la mer de béton de Gaza. Près de la côte
s’étendent les vestiges du plus ancien monastère de Terre sainte,
Saint-Hilarion, à Tell Oum al-Amr. Mais ce site archéologique, aspirant
au Patrimoine mondial, est menacé de disparition, faute d’argent.
"Il faut sauver Saint-Hilarion. La situation est critique et nous
risquons de perdre le site. Il est impératif de faire rapidement quelque
chose, sinon c’est perdu et définitivement perdu", prévient René Elter,
chercheur associé à l’Ecole biblique et archéologique française de
Jérusalem (Ebaf), chargé de l’étude et du sauvetage de Tell Oum al-Amr.
L’archéologue français évalue le coût du sauvetage du site, près du camp
de réfugiés de Nousseïrat, dans le centre de la bande de Gaza, à deux
millions de dollars (1,5 M d’euros) sur trois ans, dont 200.000 USD
d’urgence avant les prochaines pluies.
La France a été le principal donateur à hauteur de 110.000 euros depuis
2010, avec l’Unesco (35.000 USD). Mais les contributions s’assèchent.
"Les fonds tardent à venir malgré les promesses", déplore-t-il, en
tirant la sonnette d’alarme.
"Les protections d’urgence mises en place -tôles, étais, sacs de sable-
sont efficaces, cependant nous restons dans le provisoire et d’ici un an
si nous ne faisons rien, le pire est à craindre. C’est un gâchis
patrimonial, scientifique et humain", avertit M. Elter.
Humain parce que Tell Oum al-Amr est aussi un chantier-école où sont
formés des ouvriers. "Ce sont eux qui géreront l’archéologie et la
restauration à Gaza dans dix ou quinze ans. Nous avons sur place une
équipe prête à travailler, capable de gérer tout ce patrimoine",
souligne-t-il.
Ce monastère byzantin, le plus grand du Proche-Orient, qui tire son nom
d’un moine ermite du IVe siècle originaire de Gaza, Hilarion, le
fondateur du monachisme palestinien, couvre 15.000 m². Le site, aux
alentours, plus de 10 hectares.
Au milieu des dunes, ce complexe comprenait, au sud, une église et sa
grande crypte, une chapelle, des baptistères, des cellules et un
réfectoire pour les moines, et au nord, une hôtellerie et des bains pour
les pèlerins.
Depuis l’an dernier, le monastère de Saint-Hilarion est inscrit sur la
liste indicative de l’Unesco des sites de Palestine dignes de figurer au
Patrimoine mondial. Il fait aussi partie de la liste 2012 du World
Monuments Fund (WMF, Fonds mondial pour les monuments) des cent sites
les plus menacés au monde.
Aujourd’hui, beaucoup de sacs de sable servant à étayer les fondations
sont éventrés, affaissés à cause de l’humidité. A un été brûlant a
succédé un hiver très pluvieux qui a raviné les sols.
Impossible de faire venir le tailleur de pierre recruté en France pour
remonter des murs en dangers d’écroulement, faute de moyens. L’équipe
d’ouvriers qui entretient le chantier est payée au lance-pierre depuis
des mois. L’absence de gardiens la nuit fait craindre vols et
déprédations.
"L’herbe commence à bouffer les pavements de mosaïques", s’inquiète
Fadel al-Utol, le jeune archéologue restaurateur gazaoui qui s’occupe du
site pour la mission de coopération archéologique franco-palestinienne.
"J’ai besoin d’ouvriers et de désherbant pour nettoyer les mauvaises
herbes, j’ai besoin de changer 2.000 sacs (de sable) et aussi de bois
pour consolider les passerelles qui servent aux visites", se
lamente-t-il.
Fadel guide chaque jour des cohortes d’écoliers et d’étudiants sur le
site (avec un record de 1.880 visiteurs au mois de mars). Il leur parle
du "baptistère de Saint-Hilarion", des Romains, des chrétiens
pré-byzantins, des Omeyyades... Une expérience pédagogique unique à
Gaza.
"Le premier but des visites est de sortir de la routine de l’école. Le
deuxième objectif est d’identifier les lieux historiques afin de mieux
connaître l’histoire de Gaza et ne pas oublier nos aïeux qui nous laissé
un site à préserver", professe-t-il.
Saint-Hilarion n’est pas le seul site archéologique en danger de la bande de Gaza — où les priorités sont ailleurs.
En quête d’espace, les brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du
Hamas au pouvoir dans le territoire, se sont récemment installées à
Blakhiyeh, en partie sur le site de l’antique port grec d’Anthédon,
selon des témoins.
Plus au nord, les abords de l’ancienne église byzantine de Jabalia,
réputée pour sa mosaïque animalière, ont été touchés par un bombardement
israélien en novembre.
(04-06-2013)
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