John Kerry n’est pas content. En moins de quinze jours, il a déjà
passé deux coups de fil à Benyamin Netanyahou pour protester contre
l’annonce de la construction de nouvelles unités de logement dans les
quartiers de colonisation de Ramot et Guilo, à Jérusalem-Est. "Cela
porte atteinte à ma mission visant à relancer le processus de
négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne", aurait expliqué
le secrétaire d’État américain au Premier ministre israélien. Et le chef
de la diplomatie américaine n’est pas au bout de ses peines. Tout
indique que Netanyahou n’a pas l’intention de geler quoi que ce soit
dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Même si, en
public, il clame haut et fort son engagement envers la solution à deux
États - l’État d’Israël aux côtés d’une Palestine indépendante -, ses
déclarations sont régulièrement contredites par la réalité du terrain.
La preuve, un récent rapport publié par le quotidien indépendant Haaretz
établit à 8 000 dounams (800 hectares) l’extension des implantations
juives en Cisjordanie en 2012, soit le double de la superficie de
Central Park à New York. Cet élargissement de la juridiction
territoriale des colonies a été approuvé par le commandement de la
région militaire centre. Pour cela, une première procédure est
utilisée : la légalisation de certains "avant-postes", terme utilisé par
les Israéliens pour qualifier ces colonies sauvages qui n’ont pas reçu
l’approbation du gouvernement. Il peut s’agir d’un nouveau quartier
édifié au-delà des limites de l’implantation concernée ou de la mise en
place sur une colline de quelques préfabriqués par un groupe venu d’une
colonie voisine.
Très peu ont été évacués, et quand ce fut le cas, comme pour Migron en
septembre 2012, on a découvert quelques mois plus tard qu’une
implantation proche, Kokhav Ya’acov, avait reçu 66 dounams (6,6 ha) de
terres supplémentaires sur lesquels a été construit Givat Hayekev, où
sont relogés les colons de Migron. Autre exemple : le terrain donné à
Beït-El, près de Ramallah, pour construire 300 unités de logement en
compensation de la destruction - sur ordre de la Haute Cour de justice -
du quartier de Givat-Ulpana, bâti sur des terres privées
palestiniennes.
Outre l’autorisation a posteriori des avant-postes, les autres
procédures employées sont l’achat de terrains aux Palestiniens,
l’expropriation ou bien le squat par des colons juifs de certaines
parcelles. C’est ainsi que la colonie d’Ofra a obtenu l’an dernier 32
hectares supplémentaires. Il faut aussi noter que les routes permettant
d’y accéder passent par une propriété palestinienne, ce que ne mentionne
aucun document de l’administration militaire. Ce genre d’extension de
l’implantation juive est réalisé un peu partout en Cisjordanie, comme le
souligne Dror Etkes, un spécialiste de la colonisation, qui recense
minutieusement tous les développements sur le terrain : "Alors que les
responsables politiques comme le Premier ministre Benyamin Netanyahou
déclarent leur engagement envers la solution à deux États, ils la
réduisent en poussière sur le terrain, discrètement et avec constance."
Et le chef du gouvernement israélien n’est pas le seul à défendre cette
politique. Moshé Ya’alon, son ministre de la Défense, est convaincu
qu’Israël ne doit pas renoncer à la zone C, les 60 % de la Cisjordanie
entièrement sous contrôle israélien et qui, selon la communauté
internationale, doivent faire partie de l’État palestinien. Pour
atteindre son objectif, Ya’alon retarde, freine ou refuse tous les
projets présentés par l’Autorité palestinienne. Par exemple, la
construction d’un axe permettant de relier plus vite la nouvelle ville
palestinienne de Rawabi à Naplouse ou celle d’une route qui permettrait
l’accès à un nouveau quartier édifié par des investisseurs palestiniens à
l’entrée de la ville de Jéricho.
John Kerry réussira-t-il à arrêter cette annexion rampante de la
Cisjordanie ? "Non", répondent la plupart des experts du conflit, qui
vont même plus loin en annonçant le décès, aujourd’hui, de la solution à
deux États.
(04-06-2013 - Danièle Kriegel )
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