mercredi 5 juin 2013

Israël : comment Netanyahou annexe la Palestine (Danièle Kriegel)

John Kerry n’est pas content. En moins de quinze jours, il a déjà passé deux coups de fil à Benyamin Netanyahou pour protester contre l’annonce de la construction de nouvelles unités de logement dans les quartiers de colonisation de Ramot et Guilo, à Jérusalem-Est. "Cela porte atteinte à ma mission visant à relancer le processus de négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne", aurait expliqué le secrétaire d’État américain au Premier ministre israélien. Et le chef de la diplomatie américaine n’est pas au bout de ses peines. Tout indique que Netanyahou n’a pas l’intention de geler quoi que ce soit dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Même si, en public, il clame haut et fort son engagement envers la solution à deux États - l’État d’Israël aux côtés d’une Palestine indépendante -, ses déclarations sont régulièrement contredites par la réalité du terrain.
La preuve, un récent rapport publié par le quotidien indépendant Haaretz établit à 8 000 dounams (800 hectares) l’extension des implantations juives en Cisjordanie en 2012, soit le double de la superficie de Central Park à New York. Cet élargissement de la juridiction territoriale des colonies a été approuvé par le commandement de la région militaire centre. Pour cela, une première procédure est utilisée : la légalisation de certains "avant-postes", terme utilisé par les Israéliens pour qualifier ces colonies sauvages qui n’ont pas reçu l’approbation du gouvernement. Il peut s’agir d’un nouveau quartier édifié au-delà des limites de l’implantation concernée ou de la mise en place sur une colline de quelques préfabriqués par un groupe venu d’une colonie voisine.
Très peu ont été évacués, et quand ce fut le cas, comme pour Migron en septembre 2012, on a découvert quelques mois plus tard qu’une implantation proche, Kokhav Ya’acov, avait reçu 66 dounams (6,6 ha) de terres supplémentaires sur lesquels a été construit Givat Hayekev, où sont relogés les colons de Migron. Autre exemple : le terrain donné à Beït-El, près de Ramallah, pour construire 300 unités de logement en compensation de la destruction - sur ordre de la Haute Cour de justice - du quartier de Givat-Ulpana, bâti sur des terres privées palestiniennes.
Outre l’autorisation a posteriori des avant-postes, les autres procédures employées sont l’achat de terrains aux Palestiniens, l’expropriation ou bien le squat par des colons juifs de certaines parcelles. C’est ainsi que la colonie d’Ofra a obtenu l’an dernier 32 hectares supplémentaires. Il faut aussi noter que les routes permettant d’y accéder passent par une propriété palestinienne, ce que ne mentionne aucun document de l’administration militaire. Ce genre d’extension de l’implantation juive est réalisé un peu partout en Cisjordanie, comme le souligne Dror Etkes, un spécialiste de la colonisation, qui recense minutieusement tous les développements sur le terrain : "Alors que les responsables politiques comme le Premier ministre Benyamin Netanyahou déclarent leur engagement envers la solution à deux États, ils la réduisent en poussière sur le terrain, discrètement et avec constance."
Et le chef du gouvernement israélien n’est pas le seul à défendre cette politique. Moshé Ya’alon, son ministre de la Défense, est convaincu qu’Israël ne doit pas renoncer à la zone C, les 60 % de la Cisjordanie entièrement sous contrôle israélien et qui, selon la communauté internationale, doivent faire partie de l’État palestinien. Pour atteindre son objectif, Ya’alon retarde, freine ou refuse tous les projets présentés par l’Autorité palestinienne. Par exemple, la construction d’un axe permettant de relier plus vite la nouvelle ville palestinienne de Rawabi à Naplouse ou celle d’une route qui permettrait l’accès à un nouveau quartier édifié par des investisseurs palestiniens à l’entrée de la ville de Jéricho.
John Kerry réussira-t-il à arrêter cette annexion rampante de la Cisjordanie ? "Non", répondent la plupart des experts du conflit, qui vont même plus loin en annonçant le décès, aujourd’hui, de la solution à deux États.

(04-06-2013 - Danièle Kriegel )

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