mercredi 9 janvier 2013

Qatar : Al-Jazeera en Amérique !

Ça y est, enfin. Al-Jazira a mis un pied aux Etats-Unis. La chaîne du Qatar vient d’acheter (pour 500 millions de dollars dit-on) Current TV, une chaîne fondée en 2005 par le président Al Gore. Peu importe qu’elle soit confidentielle, avec ses 40 000 téléspectateurs en soirée. Peu importe même son contenu actuel : Al-Jazira compte de toute façon l’arrêter et la rebaptiser « Al-Jeezira america », pour diffuser ses propres programmes d’information continue, en anglais, au peuple américain, dès 2013. Un rêve que la chaîne du Qatar poursuit depuis des années. Un rêve que les Américains lui ont, jusqu’ici, avec grande constance, refusé.
Al-Jazira, depuis 2006, diffuse en Anglais. Autrefois surnommée la chaîne Ben Laden pour sa proximité (plus ou moins fantasmée) avec les milieux islamistes, notamment Al-Qaida, elle s’est achetée une virginité politique avec le printemps arabe. En quelques mois, elle est devenue LA chaîne des porte-parole des révoltes populaires arabes, Wadah Khanfar, le directeur de l’époque (lui-même proche du Hamas) avait alors fait le tour des popotes audiovisuelles, aux Etats-Unis, pour trouver diffuseur. En vain. A part quelques quelques villes, comme New-York, Al-Jazira s’était vu fermer toutes les portes. Dans une lettre ouverte le 31 janvier 2011, intitulée « Al Jazeera en anglais devrait être accessible aux américains », Wadah Khanfar s’indignait de ce qu’il appelait un « black out » : « Notre site en langue anglaise a explosé de 2000%, 60 % de notre trafic vient des Etats-Unis », expliquait-il. (…) Des millions d’américains veulent regarder notre chaîne et mieux comprendre notre région, et beaucoup trop parmi eux sont encore privés de cette possibilité. »
Al-Jazira réussira t-elle son pari ? Saura t-elle sortir Current TV du mouchoir de poche dans lequel elle stagne ? « La chaîne s’est certes rapprochée de Washington depuis deux ans », note le chercheur Mohammed El-Oifi. Chercheur à Sciences-po. Son directeur Wadah Khanfar a d’ailleurs dû démissionner en 2012, après des révélations de Wikileaks sur ses liens avec l’administration américaine. Mais l’image de la chaîne reste sulfureuse outre-atlantique. Elle est proche des islamistes dorénavant au pouvoir en Lybie, en Egypte ou en Tunisie, lesquels ne sont pas franchement populaires outre-atlantique. Elle reste soupçonnée par beaucoup d’être une chaîne de propagande anti-israélienne, sinon anti-américaine. A l’annonce du rachat, le groupe Time Warner Cable, l’un des opérateurs cable qui diffuse Current TV a d’ailleurs déclaré illico qu’il abandonnerait la chaîne d’Al Gore.
Par ailleurs, le créneau des chaînes d’information continue est très occupé aux Etats-Unis, mais Al-Jazira a su montrer son efficacité avec un traitement professionnel mais différent des CNN, BBC World et autres Fox News, en portant un regard non occidental sur l’actualité. Il y a deux ans, lorsque nous étions allés enquêter sur la chaîne au Qatar, plusieurs journalistes nous avaient dit : « Si un jour, nous réussissons à créer une chaîne en français sur le territoire français, vous verrez que nous ne traiterons pas vos banlieues de la même façon que les médias français. » Le pari n’est pas gagné, mais avec des moyens financiers importants, et plus de trois cents personnes employées sur le territoire américain, il est n’est pas impossible que la chaîne « voix des sans voix » , c’est son slogan, trouve son public, notamment parmi les laissés-pour-compte du rêve américain. Ils sont nombreux.

(08 janvier 2013 - Télérama)

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