dimanche 2 juin 2013

Israël, la ségrégation au quotidien ? (Danièle Kriegel)

(Petits garçons palestiniens d’un côté du mur, fillettes juives de l’autre. © MENAHEM KAHANA)

Pour la fin de l’année scolaire, Khaled Shakra, un enseignant du collège Ajial à Jaffa, voulait respecter la tradition et organiser une journée de détente pour ses vingt-cinq élèves, loin de la routine des devoirs ou des examens. Pour cet avant-goût des vacances, il avait choisi Superland, un parc situé à Rishon LeZion, une grande ville du centre du pays.

Ce mardi matin, il téléphone donc pour réserver. "Pas de problème", affirme son interlocuteur, qui lui propose trois dates au choix, les 17, 18 et 19 juin. Après s’être mis d’accord sur le 18, le prof répond à des questions pour établir la fiche de réservation, et notamment le nom et l’adresse de son école. À l’autre bout du fil, le représentant de Superland comprend qu’il s’agit d’un établissement arabe israélien. Il met alors Khaled Shakra en attente, lequel, après un court laps de temps, se voit signifier, par un autre interlocuteur, que malheureusement il y a eu une erreur et que tout est complet durant les trois dates proposées. Quelques minutes plus tard, l’enseignant rappelle, en donnant cette fois un nom à consonance juive, Eyal, tout en affirmant qu’il veut réserver pour une organisation juive. Il se voit proposer les mêmes trois jours...

L’affaire aurait pu s’arrêter là. C’était compter sans la colère de Khaled Shakra. Le lendemain, il raconte l’affaire sur sa page Facebook et conclut sur ces mots : "La paix entre deux peuples, entre deux mouvements nationaux et la capacité à panser les plaies laissées dans les deux camps par des années de guerres, c’est ce que désire, au plus profond de lui-même, chaque Arabe. Mes chers élèves, d’avance toutes mes excuses. Je ne sais pas comment vous allez réagir, mais j’ai vraiment essayé. Durant toute cette année, j’ai tout fait pour vous instiller certaines valeurs et notamment l’acceptation de l’autre. Pourtant, la réalité d’ici nous emmène ailleurs !"

Relayé par des milliers d’amis, le post se retrouve au coeur de l’actualité médiatique. Radios et télévisions interviewent le directeur de l’école, qui parle "de ségrégation raciste inacceptable", alors que, dit-il, "l’établissement qu’il dirige se fait un devoir d’inclure des élèves de toutes origines et des enseignants aussi bien musulmans que juifs, chrétiens et druzes". Interrogée, la direction de Superland aura cette réponse laconique : "Nous ouvrons nos portes durant l’année à tous les secteurs de la population israélienne. Tout le monde peut acheter des tickets, sur place ou directement sur Internet. Mais en juin nous organisons pour la fin de l’année scolaire des événements privés. Et il y a des réservations d’écoles juives pour certains jours. Et des réservations d’écoles arabes pour d’autres jours..." Au journal Haaretz, Superland expliquera le pourquoi de cette séparation : "Éviter les violences et les tensions entre élèves de différents secteurs. C’est un parc d’amusement et il est très important de préserver l’ordre et d’empêcher toutes violences. C’est pourquoi nous avons décidé de dates séparées pour les différents secteurs..."

Depuis, les responsables du parc ont annoncé qu’ils allaient reconsidérer cette procédure. Il faut dire que la tempête est devenue politique. Plusieurs membres du gouvernement sont montés au créneau pour condamner cette ségrégation, jusqu’au Premier ministre, Benyamin Netanyahou, qui a déclaré rejeter "avec dégoût ces phénomènes" et promis "d’utiliser tous les moyens juridiques appropriés pour y mettre fin". Tzipi Livni, la ministre de la Justice, a demandé au conseiller juridique du gouvernement de déterminer s’il ne s’agissait pas d’une infraction à la loi anti-discrimination. Et des députés se sont adressés au ministre de l’Éducation pour qu’il donne l’ordre à tous les établissements scolaires du pays de boycotter le parc en question.
Certains journaux rappellent qu’il y a quelques mois la ville de Rishon LeZion avait été au coeur d’un scandale de la même nature. Cette fois, il s’agissait d’un restaurant connu. Un couple arabe avait enregistré sa conversation avec les employées alors qu’il téléphonait pour réserver une table. En donnant toute sorte d’excuses, on leur avait expliqué que tout était complet. Quelques minutes après, le couple avait rappelé en donnant un nom juif et il n’y avait eu aucun problème de place.

Mais Rishon LeZion n’est pas la seule à être mise à l’index. Quarante-huit heures après l’affaire du parc d’attractions, c’est au tour d’une piscine privée du sud du pays de faire les gros titres. Contactée par un médecin qui s’occupe d’enfants bédouins atteints du cancer qui voulait leur offrir un moment de détente, la direction a refusé en expliquant qu’elle ne permettait pas l’entrée du lieu à ce secteur de la population. En clair, aux Arabes. C’est donc l’université de Beer-Sheva qui va accueillir gratuitement dans sa piscine, les enfants malades.

Plus largement, en mars, le ministère israélien des Transports avait annoncé la création de nouvelles lignes exclusivement réservées aux travailleurs palestiniens qui se rendent en Israël. Reste que la réaction de Beer-Sheva, une des grandes institutions universitaires du pays, tout comme les nombreuses condamnations de la "politique" de Superland, nourrit l’espoir que de nombreux Israéliens refusent les ténèbres de la ségrégation raciale.

(02-06-2013 - Danièle Kriegel )

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