(Petits garçons palestiniens d’un côté du mur, fillettes juives de l’autre. © MENAHEM KAHANA)
Pour la fin de l’année scolaire, Khaled Shakra, un enseignant du
collège Ajial à Jaffa, voulait respecter la tradition et organiser une
journée de détente pour ses vingt-cinq élèves, loin de la routine des
devoirs ou des examens. Pour cet avant-goût des vacances, il avait
choisi Superland, un parc situé à Rishon LeZion, une grande ville du
centre du pays.
Ce mardi matin, il téléphone donc pour réserver. "Pas de problème",
affirme son interlocuteur, qui lui propose trois dates au choix, les 17,
18 et 19 juin. Après s’être mis d’accord sur le 18, le prof répond à
des questions pour établir la fiche de réservation, et notamment le nom
et l’adresse de son école. À l’autre bout du fil, le représentant de
Superland comprend qu’il s’agit d’un établissement arabe israélien. Il
met alors Khaled Shakra en attente, lequel, après un court laps de
temps, se voit signifier, par un autre interlocuteur, que
malheureusement il y a eu une erreur et que tout est complet durant les
trois dates proposées. Quelques minutes plus tard, l’enseignant
rappelle, en donnant cette fois un nom à consonance juive, Eyal, tout en
affirmant qu’il veut réserver pour une organisation juive. Il se voit
proposer les mêmes trois jours...
L’affaire aurait pu s’arrêter là. C’était compter sans la colère de
Khaled Shakra. Le lendemain, il raconte l’affaire sur sa page Facebook
et conclut sur ces mots : "La paix entre deux peuples, entre deux
mouvements nationaux et la capacité à panser les plaies laissées dans
les deux camps par des années de guerres, c’est ce que désire, au plus
profond de lui-même, chaque Arabe. Mes chers élèves, d’avance toutes mes
excuses. Je ne sais pas comment vous allez réagir, mais j’ai vraiment
essayé. Durant toute cette année, j’ai tout fait pour vous instiller
certaines valeurs et notamment l’acceptation de l’autre. Pourtant, la
réalité d’ici nous emmène ailleurs !"
Relayé par des milliers d’amis, le post se retrouve au coeur de
l’actualité médiatique. Radios et télévisions interviewent le directeur
de l’école, qui parle "de ségrégation raciste inacceptable", alors que,
dit-il, "l’établissement qu’il dirige se fait un devoir d’inclure des
élèves de toutes origines et des enseignants aussi bien musulmans que
juifs, chrétiens et druzes". Interrogée, la direction de Superland aura
cette réponse laconique : "Nous ouvrons nos portes durant l’année à tous
les secteurs de la population israélienne. Tout le monde peut acheter
des tickets, sur place ou directement sur Internet. Mais en juin nous
organisons pour la fin de l’année scolaire des événements privés. Et il y
a des réservations d’écoles juives pour certains jours. Et des
réservations d’écoles arabes pour d’autres jours..." Au journal Haaretz,
Superland expliquera le pourquoi de cette séparation : "Éviter les
violences et les tensions entre élèves de différents secteurs. C’est un
parc d’amusement et il est très important de préserver l’ordre et
d’empêcher toutes violences. C’est pourquoi nous avons décidé de dates
séparées pour les différents secteurs..."
Depuis, les responsables du parc ont annoncé qu’ils allaient
reconsidérer cette procédure. Il faut dire que la tempête est devenue
politique. Plusieurs membres du gouvernement sont montés au créneau pour
condamner cette ségrégation, jusqu’au Premier ministre, Benyamin
Netanyahou, qui a déclaré rejeter "avec dégoût ces phénomènes" et promis
"d’utiliser tous les moyens juridiques appropriés pour y mettre fin".
Tzipi Livni, la ministre de la Justice, a demandé au conseiller
juridique du gouvernement de déterminer s’il ne s’agissait pas d’une
infraction à la loi anti-discrimination. Et des députés se sont adressés
au ministre de l’Éducation pour qu’il donne l’ordre à tous les
établissements scolaires du pays de boycotter le parc en question.
Certains journaux rappellent qu’il y a quelques mois la ville de
Rishon LeZion avait été au coeur d’un scandale de la même nature. Cette
fois, il s’agissait d’un restaurant connu. Un couple arabe avait
enregistré sa conversation avec les employées alors qu’il téléphonait
pour réserver une table. En donnant toute sorte d’excuses, on leur avait
expliqué que tout était complet. Quelques minutes après, le couple
avait rappelé en donnant un nom juif et il n’y avait eu aucun problème
de place.
Mais Rishon LeZion n’est pas la seule à être mise à l’index.
Quarante-huit heures après l’affaire du parc d’attractions, c’est au
tour d’une piscine privée du sud du pays de faire les gros titres.
Contactée par un médecin qui s’occupe d’enfants bédouins atteints du
cancer qui voulait leur offrir un moment de détente, la direction a
refusé en expliquant qu’elle ne permettait pas l’entrée du lieu à ce
secteur de la population. En clair, aux Arabes. C’est donc l’université
de Beer-Sheva qui va accueillir gratuitement dans sa piscine, les
enfants malades.
Plus largement, en mars, le ministère israélien des Transports avait
annoncé la création de nouvelles lignes exclusivement réservées aux
travailleurs palestiniens qui se rendent en Israël. Reste que la
réaction de Beer-Sheva, une des grandes institutions universitaires du
pays, tout comme les nombreuses condamnations de la "politique" de
Superland, nourrit l’espoir que de nombreux Israéliens refusent les
ténèbres de la ségrégation raciale.
(02-06-2013 - Danièle Kriegel )
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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