Des membres armés de tribus sunnites paradent durant une
manifestation anti-gouvernementale à Ramadi, à l’ouest de Bagdad, le 26
avril. © AZHAR SHALLAL / AFP
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Dix ans après la chute de Saddam Hussein, l’Irak n’a jamais été aussi
proche d’un nouvel embrasement confessionnel. Cinq voitures piégées ont
explosé lundi dans quatre villes en majorité chiites au sud de Bagdad,
faisant 18 morts et des centaines de blessés. Une nouvelle vague
d’attentats qui aurait pu paraître anodine dans ce pays quotidiennement
frappé par la violence si elle ne suivait pas une semaine
particulièrement meurtrière.
Pas moins de 240 personnes ont trouvé la mort dans des affrontements
entre forces de l’ordre et insurgés sunnites. À l’origine, un sit-in de
manifestants sunnites organisé mardi dernier près de la ville de
Houweijah, dans le nord du pays. Les frondeurs réclamaient la démission
du Premier ministre chiite, Nouri al-Maliki, qu’ils accusent d’accaparer
le pouvoir et de marginaliser leur communauté. La réponse
gouvernementale ne s’est pas fait attendre. Les forces de sécurité ont
lancé un assaut sanglant contre les contestataires, provoquant une vague
de représailles qui s’est étendue à tout l’Irak, faisant craindre un
retour aux sanglants affrontements qui avaient fait plusieurs dizaines
de milliers de morts en 2006-2007, après l’attaque d’un lieu saint
chiite à Samarra.
L’âge d’or des sunnites
Minoritaires dans le pays, où ils composent quelque 20 % de la
population, les sunnites d’Irak ont connu leur heure de gloire sous
Saddam Hussein. Durant ses vingt-quatre ans de règne, le raïs a dirigé
d’une main de fer son pays en s’appuyant sur les Arabes sunnites, au
détriment des chiites pourtant majoritaires en Irak (ils représentent
environ 55 % de la population irakienne). Écartés du pouvoir, ces
derniers ont été matés dans le sang lorsqu’ils ont lancé une révolte
contre le pouvoir central en 1991.
Mais l’invasion américaine de 2003 a bouleversé la donne. À la chute
de Saddam Hussein, l’appareil d’État est purgé. Le parti unique Baas,
dissous. Naturellement, les sunnites irakiens sont les premiers à en
faire les frais. "L’administration américaine a fait l’erreur d’établir
le système politique à travers le prisme communautaire : ils ont
clairement négligé la nation irakienne", souligne au Point.fr Maria
Fantappie, analyste pour l’International Crisis Group à Bagdad.
Le retour des chiites
Les premières élections législatives de l’ère post-Saddam aboutissent
à la victoire d’une coalition politique chiite, l’Alliance irakienne
unifiée, et à l’investiture, en mai 2006, du Premier ministre chiite,
Nouri al-Maliki. Profondément nationaliste, le chef du parti islamique
chiite Dawa est pourtant rapidement accusé des mêmes dérives que
l’ex-dictateur. "On lui reproche son autoritarisme dans l’exercice du
pouvoir", note Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations
internationales et stratégiques (Iris). En plus de son poste de chef du
gouvernement, Nouri al-Maliki cumule celui de ministre de la Défense et
celui de ministre de la Sécurité nationale. "Les postes les plus
importants sont aux mains des chiites du parti Dawa", résume Karim
Pakzad.
"Il ne s’agit pas tant d’une politique sectaire, mais d’un processus
de consolidation du pouvoir, dont la communauté sunnite est la
principale victime", tempère Maria Fantappie. En effet, les sunnites
doivent se contenter de ministères subalternes. Le sentiment d’exclusion
est accentué par une sous-représentation dans les institutions ou dans
les forces armées. Mais également par des vagues d’arrestations
arbitraires, au seul motif d’"affiliation au terrorisme".
Alliance avec Téhéran
L’arrivée d’un chiite au pouvoir à Bagdad sourit en revanche à l’Iran
(lui aussi majoritairement chiite, NDLR). En faisant tomber Saddam
Hussein, les États-Unis ont débarrassé la République islamique de son
pire ennemi, lui ouvrant un espace d’influence inespéré sur son voisin,
ainsi qu’un axe de communication privilégié vers son allié syrien
alaouite (secte issue du chiisme, NDLR). Voilà pourquoi le chiite Nouri
al-Maliki a toujours été considéré par les sunnites irakiens comme
l’homme de Téhéran. S’il réfute cette idée, le chercheur Karim Pakzad
soutient qu’il existe bien une "alliance réciproque" entre Bagdad et
Téhéran.
"Les chiites au pouvoir en Irak se savent fragiles, car ils vivent
dans un îlot d’hostilité", fait valoir le spécialiste de l’Irak. "Ni les
monarchies arabes, ni la Turquie, ne les ont jamais acceptés à la tête
de l’Irak." La reconduction au poste de Premier ministre de Nouri
al-Maliki, à l’issue des législatives de 2010, finit d’achever les
espoirs des sunnites. Cela d’autant plus que la principale formation
sunnite, le Mouvement national irakien ou parti Iraqiya, pèche par ses
déchirements internes. "Iraqiya a échoué dans le projet des
représentations des sunnites", souligne Maria Fantappie de
l’International Crisis Group. "Il a marqué le fossé de plus en plus
important entre les leaders politiques et les citoyens sunnites."
Le rôle d’al-Qaida
Dans le sillage du Printemps arabe, c’est dans la rue que les
sunnites décident de poursuivre leur contestation. Des milliers d’entre
eux manifestent depuis décembre 2012 dans le nord du pays pour réclamer
le départ du Premier ministre. "Les manifestants étaient pacifiques
jusqu’au moment où ils ont eu le sentiment d’être attaqués par les
forces gouvernementales", indique Maria Fantappie. "Le raid des forces
de sécurité mardi dernier a signé la fin des manifestations politiques
et favorisé la radicalisation." Depuis, les actes de guérilla et les
représailles sanglantes dans les mosquées sunnites font rage à travers
le pays.
Parmi les insurgés sunnites figurent des combattants de l’Armée des
Naqchabandis, un groupe comptant dans ses rangs d’anciens officiers de
l’armée de Saddam Hussein, mais également des membres de l’État
islamique en Irak (ISI), branche d’al-Qaida dans le pays. "La rébellion
comporte un nombre croissant de factions djihadistes financées par
l’étranger", assure le chercheur Karim Pakzad. Le conflit qui bat son
plein dans la Syrie voisine n’y serait pas pour rien. La porosité de la
frontière entre les deux pays permet aux islamistes de tous pays de
combattre sur les deux terrains. Une tendance favorisée par l’allégeance
début avril du Front al-Nosra, le plus efficace des groupes armés de
l’opposition syrienne, à al-Qaida.
Dès lors, le programme des combattants les plus radicaux n’est plus
local (la chute de Bachar el-Assad ou de Nouri al-Maliki), mais
régional. "Leur objectif est de libérer l’Irak et la Syrie de l’emprise
du chiisme", estime Karim Pakzad. Autrement dit, d’anéantir l’influence
de l’Iran chiite dans la région au profit d’un État islamique sunnite.
Avec le risque que l’Irak ne devienne, comme en Syrie, le nouveau
théâtre sanglant de cette guerre fratricide millénaire.
(29-04-2013 - Armin Arefi)
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