lundi 7 janvier 2013

Israël : Israël est-il en péril ? (Armin Arefi)

L’affiche-choc fleurit en ce début d’année 2013 dans de nombreux kiosques parisiens. Intitulée "Le suicide d’Israël", la dernière couverture de la revue littéraire Books décrit des Israéliens ultraorthodoxes qui, obéissant à une injonction biblique, récoltent du blé à l’aide d’une faucille. Une scène devenue courante, tant en Israël que dans les colonies de Cisjordanie. Le titre n’en reste pas moins étonnant. Avec un taux de 3,3 % en 2012, la croissance d’Israël demeure toujours bien supérieure à celles de nombreux pays occidentaux. L’État hébreu peut également se targuer d’être devenu une référence en matière de nouvelles technologies.
Israël possède en effet la plus grosse concentration de start-up, juste derrière la Silicon Valley américaine, et donc un vivier record d’ingénieurs. Au niveau sécuritaire, le pays sort du dernier conflit de Gaza en ayant réussi à intercepter la majorité des roquettes du Hamas et du Jihad islamique, grâce à son révolutionnaire Iron Dome. En dépit de l’explosion le 21 novembre dernier d’une bombe dans un bus de Tel-Aviv, qui a fait 17 blessés, le nombre d’attentats sur le sol israélien a considérablement diminué depuis la seconde Intifada, qui s’est achevée en 2004.
Enfin, politiquement, le pays doit organiser, le 22 janvier prochain, de nouvelles élections législatives anticipées, pour lesquelles la coalition de droite formée par le Likoud et Israel Beitenou demeure favorite. Ainsi, le Premier ministre sortant, Benyamin Netanyahou, devrait sans problème être reconduit dans ses fonctions. Pourquoi alors voir ce véritable "îlot de stabilité" sombrer dans un avenir proche ? Books n’évoque pas ici Israël, mais la colonisation israélienne en Cisjordanie qui, malgré son caractère illégal selon le droit international, s’accélère en toute impunité.
Quelque 520 000 colons peuplent aujourd’hui des colonies situées en territoire palestinien. "Nous croyons de toute notre âme que la réalisation des implantations est un retour à la terre de nos ancêtres et que ce droit est indissociablement lié à celui du peuple juif à la sécurité nationale", a d’ailleurs rappelé dernièrement le ministre israélien de l’Éducation, Gidéon Sa’ar. Cette déclaration n’est pas isolée. D’après de récents sondages, 67 % des Israéliens pensent que les juifs sont le peuple élu et 65 % que la Torah a été reçue de Dieu.
Pour la revue Books, ces chiffres révèlent la montée en puissance des ultraortodoxes dans le pays. "Dans ces conditions, le grignotage territorial de la Cisjordanie a toutes les chances de se poursuivre et de détruire, d’une manière ou d’une autre, l’État d’Israël", explique le mensuel littéraire. Intitulé "La fuite en avant", l’article-phare du dossier est une traduction d’un papier de David Shulman, journaliste dans le prestigieux The New York Review of Books. Il s’agit d’une critique du dernier livre, The Crisis of Zionism (La crise du sionisme), de Peter Beinart, enseignant en journalisme et en sciences politiques à New York.
Beinart, un auteur de confession juive, y analyse que, si, à l’ouest (de la Ligne verte, la frontière d’avant la guerre de 1967), "Israël est une démocratie imparfaite mais authentique, à l’est, c’est une ethnocratie : un mini-État, dirigé par les colons, certains violents et fanatiques, qui prive du droit de vote la population arabe et s’approprie inlassablement la terre afin d’étendre et de fortifier encore le projet colonial des implantations".
Démolitions de maisons ou humiliation des populations, "elles relèvent d’une campagne malveillante destinée à rendre la vie aussi difficile que possible pour les Palestiniens qui habitent là [...] dans l’espoir de les voir partir", souligne pour sa part le journaliste David Shulman, qui s’est rendu en avril 2012 dans les Territoires palestiniens. Quels recours ces populations possèdent-elles ? "En règle général, un Palestinien n’a pas la moindre chance de se voir rendre justice devant un tribunal militaire israélien", affirme l’auteur de l’article. De leur côté, les bureaucrates israéliens mettent en avant que les habitations détruites en zone C, c’est-à-dire sous le contrôle d’Israël, ne bénéficiaient pas de permis de construire. Ils n’ont pas tort, le comité examinant les demandes étant composé en majorité de colons, celui-ci n’en délivre que très rarement aux Palestiniens.
Toutefois, le vrai drame en cours en Cisjordanie n’est pas simplement une question de violation épisodique des droits de l’homme, estime David Shulman. "L’occupation est systématique dans tous les sens du terme. Tous les acteurs et les institutions impliqués - les fonctionnaires, leurs ministères et leurs budgets, l’armée, la police civile, la police des frontières, l’administration civile, la justice, la foule des éditorialistes qui servent la ligne du gouvernement et entretiennent ses mythologies - sont inextricablement liés et participent d’un système dont la logique [...] consiste à protéger l’entreprise colonisatrice et à s’emparer de la terre", ajoute le journaliste.
C’est la partie la plus intéressante du livre The Crisis of Zionism. Loin de se cantonner à dénoncer les exactions commises en Cisjordanie, Peter Beinart décrit soigneusement la conquête des institutions centrales de l’État israélien par le "mini-État" des colons. Il évoque ainsi la "dangereuse érosion de l’attachement des Israéliens aux valeurs démocratiques fondamentales et l’essor concomitant des tendances ultranationalistes, racistes et totalitaires, dont certaines sont bien représentées dans les partis d’extrême droite à la Knesset (Parlement) et au sein du gouvernement actuel." Ainsi, poursuit l’article, chaque jour ou presque apporte un nouveau dispositif, dont l’inventivité permet de légaliser les "implantations illégales".
Dès lors, pourquoi s’alarmer d’une situation, certes discriminatoire et illégale, mais en cours depuis plusieurs décennies sans que le monde entier y trouve à redire ? Pour Peter Beinart, "la conséquence inévitable est la mort imminente de la prétendue solution à deux États. [...] Aucun État ne saura être construit sur le peu de territoire qu’il reste", complète l’écrivain. Une description pourtant jugée "bien timide" par David Shulman, notamment "pour qui connaît la situation sur le terrain".
D’après le journaliste du New York Review of Books, "il existe déjà un État unique allant du Jourdain à la mer Méditerranée". "Un jour, comme en Afrique du Sud, ce système inévitablement s’effondrera", prédit-il. "Dans une version optimiste de l’avenir, nous pourrions nous retrouver avec une sorte de modèle fédérale représentant plus qu’un État, mais moins que deux - et où les Juifs seraient rapidement en minorité. Je ne vois pas comment cela peut se produire sans une lutte, que l’on espère non violente au moins jusqu’à un certain point, dans laquelle les Palestiniens revendiquent pour eux-mêmes les droits que d’autres peuples ont obtenus."
Si les prédictions de David Shulman ne sont, pour l’heure, que de pures supputations, un rapport du Bureau central palestinien des statistiques vient apporter un certain crédit à ces inquiétudes, six mois après la publication de l’article. D’après l’organisme officiel, en raison de leur taux de natalité nettement supérieur, les populations arabes dépasseront le nombre de Juifs en Terre sainte (Israël et Territoires palestiniens) dès 2020.

(07 janvier 2013 - Armin Arefi)

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