Enfin, ils sont arrivés ! Près de deux mille chauffages à pétrole
lampant ont été acheminés jusqu’aux milliers de déplacés syriens qui
affrontent l’hiver sous la tente, les pieds dans la boue, dans des camps
insalubres du nord-ouest de la Syrie sous contrôle rebelle.
Venus par camion depuis l’Irak, via la Turquie, les précieux réchauds
seront distribués ce début de semaine dans quatre camps le long de la
frontière turque par une ONG occidentale dont les employés préfèrent
taire le nom, "contexte politique et sécurité" obligent.
L’occasion est pourtant belle de mettre en valeur une aide
internationale qui arrive toujours au compte-goutte dans ces territoires
"libérés", au grand désarroi des déplacés.
"Qu’attendez-vous pour nous aider ?", s’interroge une réfugié du camp
d’Atme, où pataugent sous les oliviers près de 15.000 personnes, à
quelques mètres des fils barbelés de la frontière turque. "Nous avons
froid, nous manquons de tout", implore cette mère de famille aux traits
tirés.
"De l’aide arrive, même si elle est loin de couvrir tous les besoins",
observe l’aimable Ziad Aarour, ancien instituteur en charge du camp.
Après les associations syriennes, les organisations islamiques, les
grandes ONG occidentales ont commencé à montrer le bout de leur nez,
"mais leurs promesses tardent pour l’instant à se concrétiser", regrette
Ziad.
"Leurs représentants visitent le camp, prennent des photos, passent
quelques heures ici avant de repartir vers la Turquie. On a parfois
l’impression qu’ils font les touristes...".
L’ONU tarde également à arriver, a simplement distribué quelques tentes
dans le camp voisin d’al-Karamé. "Mais l’essentiel de l’aide de l’ONU
continue d’aller au régime de Bachar al-Assad", affirme Ziad.
Une accusation qui fait écho à un récent plaidoyer de Médecins sans
frontières (MSF, présent depuis neuf mois dans le nord-ouest de la
Syrie), pour qui l’aide humanitaire en Syrie "souffre d’un grave
déséquilibre" au profit des "zones sous contrôle gouvernemental" et au
détriment des "zones insurgées".
Cette situation tient notamment à la difficulté de mener des opérations
transfrontalières, en particulier depuis la Turquie voisine, et à la
semi-clandestinité à laquelle les ONG sont tenues.
Au moins six ONGs occidentales interviennent aujourd’hui dans le
nord-ouest syrien pour soutenir environ 20.000 déplacés répartis sur
quatre camps relativement hors de portée des canons du régime.
La présence de ces ONGs, basées dans la province turque voisine d’Hatay,
est tolérée en Turquie, où elles n’ont cependant pas de reconnaissance
officielle. Les autorités locales ferment les yeux sur leurs allées et
venues illégales vers la Syrie "libre".
Là, les humanitaires tentent de jouer la discrétion, opèrent sous des
prête-noms syriens, sans vraiment tromper personne. Comme dans le camp
de Qah, où deux employés occidentaux d’une ONG anglo-saxonne distribuent
ce jour-là des vêtements.
A l’arrivée d’un journaliste de l’AFP, les deux humanitaires embarrassés
prennent des airs de conspirateurs : "nous travaillons pour une
association syrienne", tente de convaincre une Italienne trentenaire qui
se cache derrière son voile, et peine à citer correctement le nom de
l’association en question.
"Les grandes ONGs arrivent enfin, mais elles ont peur", résume un
employé local. D’abord peur des bombardements aériens de l’armée
loyaliste. Peur des jihadistes, que l’on croise à tous les coins de rues
dans ces régions. Mais également "peur de fâcher Damas", alors que
certaines ONGs et agences onusiennes interviennent en zone
gouvernementale.
Et puis il y a "les ambiguïtés des bailleurs de fonds" dont l’engagement "reste limité", pointe du doigt un expatrié.
Ces bailleurs "s’indignent publiquement du sort réservé aux déplacés
mais ils financent au compte-goutte les ONGs en zone rebelle, assurant
que la situation dans les camps n’y est pas si terrible que cela",
déplore-t-il.
Malgré le soutien affiché du monde occidental à l’opposition syrienne,
"les bailleurs craignent toujours la fureur de Damas", se désole un
humanitaire syrien. "Et ils redoutent, en déversant trop d’argent, de
contribuer à un afflux de réfugiés qui embarrasserait la Turquie".
(02-02-2013 - Assawra)
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