"La politique n’a ni père ni mère ; elle n’obéit qu’aux intérêts." Le
Hamas palestinien ferait bien de méditer sur ce dicton millénaire
perse. Les islamistes au pouvoir à Gaza viennent en effet de subir un
véritable camouflet de la part des autorités égyptiennes, pourtant
issues comme eux de la confrérie des Frères musulmans. L’affront est de
taille : Le Caire a tout bonnement décidé cette semaine d’inonder les
tunnels de contrebande permettant aux Palestiniens de contourner le
blocus imposé par Israël depuis 2007.
Près de 30 % de la nourriture destinée à l’enclave palestinienne
transite par ce réseau souterrain développé, ainsi que des armes
sophistiquées. "Nous nous servons de l’eau pour fermer les tunnels", a
indiqué mercredi à Reuters un membre de la sécurité égyptienne au Sinaï,
désert qui borde la frontière avec Gaza, précisant que l’opération
avait débuté cinq jours plus tôt. Une opération qui tranche avec le
rapprochement affiché jusqu’ici par Le Caire en direction de ses
"cousins" de Gaza.
Durant la campagne présidentielle, les Frères musulmans avaient en
effet promis de rompre avec l’ère Moubarak en ouvrant la frontière avec
Gaza, rompant de facto le blocus israélien. Cette promesse s’était
finalement traduite par une simplification du transfert de personnes au
point de passage de Rafah, à la frontière entre les deux pays. Le
nouveau pouvoir égyptien a également servi de médiateur entre Israël et
le Hamas, pour décrocher un cessez-le-feu, après les affrontements qui
ont fait 169 morts, dont 163 Palestiniens, en novembre dernier. Le Caire
joue depuis le même rôle, pour tenter d’arracher au Hamas et au Fatah,
au pouvoir en Cisjordanie, un accord de réconciliation nationale.
Mais en parallèle, des attaques djihadistes se sont multipliées dans le
Sinaï, vaste péninsule égyptienne particulièrement sensible, en raison
des tensions avec la communauté bédouine qui y vit, et des multiples
trafics en direction de Gaza. "Certains groupes palestiniens en ont
profité pour pénétrer en territoire égyptien et ainsi viser Israël",
affirme Olivier Danino*, chercheur à l’Institut français d’analyse
stratégique (Ifas). La violence a franchi un nouveau pallier le 5 août
2012, lorsqu’un commando djihadiste a pris d’assaut un poste-frontière
entre l’Égypte et l’État hébreu. Après avoir tué 16 policiers égyptiens,
les assaillants avaient réussi à pénétrer en territoire israélien à
bord d’un véhicule blindé, avant d’être neutralisés par Tsahal.
Dès lors, le président égyptien Mohamed Morsi s’est engagé à reprendre
le Sinaï en main. "Ordre a été donné cet été d’inonder des dizaines de
tunnels de contrebande en réponse aux multiples attaques contre Israël",
affirme Olivier Danino, pour qui les récentes inondations ne sont donc
pas une nouveauté. "Si le nouveau pouvoir au Caire souhaite rééquilibrer
sa position dans le conflit israélo-palestinien, ses intérêts ne
diffèrent pas de l’ère Moubarak", estime ce spécialiste du Hamas. "Il
s’agit tout d’abord pour lui de sécuriser le Sinaï, afin d’éviter
l’essor d’un nouveau conflit régional, mais également d’éviter toute
dégradation de ses relations avec le voisin israélien."
Engluée dans une grave crise économique, l’Égypte n’a certainement pas
besoin de rompre la paix froide en vigueur depuis 30 ans entre elle et
Israël. Peinant à obtenir du Fonds monétaire international un prêt de
4,8 milliards de dollars, Mohamed Morsi ne peut certainement pas se
permettre de renoncer à l’aide économique américaine, qui s’élève chaque
année à 2,1 milliards de dollars. Pour le Hamas, qui avait pourtant
décidé l’été dernier de fermer provisoirement les tunnels, en gage de
bonne volonté, la pilule a du mal à passer.
En témoigne cette réaction pour le moins maladroite du parti islamiste
gazaoui qui, pour ne pas perdre la face, a annoncé mercredi avoir
lui-même fermé des centaines de ses tunnels souterrains, car certains
"servent à introduire des produits toxiques interdits", rapporte
l’Agence France-Presse. Pourtant, si les dirigeants palestiniens
rechignent à critiquer ouvertement leurs "frères musulmans" du Caire,
d’autres se montrent bien plus loquaces. "Nos frères du Hamas pensaient
que Morsi allait ouvrir ses portes à Gaza. J’ai l’impression qu’ils se
sont trompés", a ainsi déclaré à Reuters le "propriétaire" de l’un des
tunnels.
(15-02-2013 - Armin Arefi)
(*) Olivier Danino, auteur de Le Hamas et l’édification de l’État palestinien (éditions Karthala).
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