mercredi 13 février 2013

Israël : polémique autour du mystérieux suicide d’un détenu australien

Le mystère entourant les circonstances du suicide d’un Australien présenté comme un agent du Mossad qui était détenu dans le plus secret en Israël selon une télévision australienne a déclenché mercredi une polémique médiatique et politique.
La censure israélienne avait interdit mardi de relayer des informations sur cette affaire révélée par la chaîne de télévision australienne ABC. Mais ce silence imposé a été brisé par trois députés d’opposition qui, profitant de leur immunité parlementaire, ont interrogé au Parlement le ministre de la Justice Yaakov Neeman sur cette affaire.
Et les médias ont finalement été autorisés mercredi à faire état des informations d’ABC.
"Les médias peuvent désormais utiliser ce qui a été publié à l’étranger, mais l’interdiction totale concernant les raisons de la détention (du ressortissant australien) reste en vigueur", a affirmé à l’AFP un responsable du service de la censure.
Les médias israéliens ont ainsi pu rapporter que, selon ABC, un Australien s’appellant Ben Zygier, recruté par le Mossad, les services de renseignements israéliens, a été retrouvé pendu dans sa cellule de la prison Ayalon près de Ramleh, au sud de Tel-Aviv, en décembre 2010. L’homme serait arrivé en Israël sous le nom de Ben Alon. Il aurait ensuite vécu une dizaine d’années dans ce pays avant d’être arrêté.
En général, pour contourner la censure notamment pour les affaires de renseignements, les opérations militaires ou les assassinats ciblés en dehors du pays, les médias israéliens utilisent les informations publiées à l’étranger. Mais dans ce cas, ce stratagème leur a été interdit jusqu’à mercredi.
Interpellé au Parlement, Yaakov Neeman s’était contenté d’affirmer que "les prisons sont sous la juridiction du ministère de la Sécurité intérieure", tout en soulignant que "tout cela mérite examen".
Le ministre de la Sécurité Intérieure, Yitzhak Aharonovitch, devait, selon la radio publique, répondre à des questions orales mercredi après-midi au Parlement.
L’ex-ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a pour sa part dénoncé à la radio les députés ayant évoqué cette affaire. "Une fois de plus, certains parlementaires n’hésitent pas à se solidariser avec l’ennemi et profitent de leur immunité pour violer la censure", a-t-il dit tout en affirmant "ne rien savoir" sur le fond de cette affaire.
En Australie, le chef de la diplomatie Bob Carr a ordonné un examen de l’affaire. Il a affirmé qu’il n’hésiterait pas à demander des explications à Israël "sur ce qui s’est passé" tout en précisant que ses services n’avaient pas été contactés par la famille de Ben Zygier et qu’il n’y avait eu "aucune demande d’asssistance consulaire durant la période de sa détention présumée".
Pour la plupart des commentateurs israéliens, les pratiques de la censure à l’heure d’internet et des réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter sont complètement dépassées. "Nous ne sommes plus à l’époque où la censure pouvait imposer un silence total", a souligné un présentateur de la radio publique.
Yossi Melman, commentateur pour les affaires de renseignements du site Walla, estime lui aussi que la "censure, l’armée et le gouvernement doivent se rendre compte que nous vivons au 21e siècle et qu’il n’est plus possible de tout garder secret. Si on avait permis de publier il y a deux ans les informations sur cet Australien, l’affaire serait déjà close et enterrée", a-t-il ajouté.
En juin 2010, le site d’information israélien Ynet avait indiqué qu’un certain "Monsieur X" était emprisonné. Mais cette information avait été subitement retirée moins d’une heure après sa publication.


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"Prisonnier X", l’homme qui en savait trop (Armin Arefi)
La mystérieuse mort du "Prisonnier X" est devenue affaire d’État en Israël. En témoigne la levée de la censure médiatique imposée depuis deux ans par l’État hébreu. En juin 2010, le quotidien populaire Yedioth Aharonoth avait pour la première fois évoqué le sort de "Monsieur X", prisonnier non identifié détenu dans le plus grand secret près de Tel-Aviv pour un crime inconnu, sans que même les geôliers connaissent les charges pesant sur lui. Puis l’information avait rapidement disparu du site internet du quotidien.
Il aura donc fallu une enquête poussée de la chaîne télévision australienne ABC, diffusée lundi, pour que l’affaire ressurgisse. D’après elle, le "Prisonnier X" se nomme Ben Zygier. Citoyen australien de 34 ans, ce père de deux enfants était membre de la communauté juive de Melbourne. Arrivé en Israël il y a dix ans sous le nom de Ben Allen, il est devenu agent du Mossad. Mais son destin bascule au début de l’année 2010. L’homme est emprisonné dans le plus grand secret dans la prison ultra-sécurisée Ayalon, à Ramla, dans l’aile abritant l’un des prisonniers les plus connus d’Israël : Yigal Amir, l’assassin du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin.
Il sera retrouvé pendu dans sa cellule en décembre de la même année. C’est le récent rapatriement de son corps de Tel-Aviv à Melbourne qui a alerté ABC. Et les révélations de la chaîne australienne ont provoqué un vent de panique à Tel-Aviv. D’après le quotidien israélien Haaretz, le bureau du Premier ministre a immédiatement convoqué une réunion d’urgence du Comité des éditeurs exhortant ses membres à coopérer avec le gouvernement. Le mot d’ordre : "s’abstenir de publier des informations relatives à un incident embarrassant" pour le gouvernement.
Finalement, les médias israéliens ont uniquement été autorisés à reprendre les informations d’ABC, sans apporter le moindre détail supplémentaire. Mais, profitant de leur immunité parlementaire, trois députés d’opposition ont interpellé mardi le ministre israélien de la Justice, Yaakov Neeman. "Est-il normal que le bureau du Premier ministre invite les dirigeants des principaux médias à éviter la publication d’une information susceptible d’embarrasser Israël ?" a par exemple demandé Zehava Galon, dirigeante du parti de gauche Meretz, selon des propos rapportés par l’AFP.
Si le ministre incriminé a botté en touche, rétorquant aux parlements que "les prisons sont sous la juridiction du ministère de la Sécurité intérieure", l’ancien ministre des Affaires étrangères, l’ultranationaliste Avigdor Lieberman, s’est, lui, montré beaucoup plus virulent, accusant les députés de "se solidariser avec l’ennemi", rapporte l’AFP. Mais le plus étonnant reste que le chef de la diplomatie australienne, Bob Carr, n’aurait pas été mis au courant de la détention du citoyen israélien par les autorités israéliennes. C’est en tout cas ce qu’il a indiqué à la chaîne ABC.
"Cela ne m’a jamais été évoqué. Je ne suis pas contre l’idée d’obtenir une explication du gouvernement israélien sur ce qui est arrivé à monsieur Allen et de leur avis sur la question", a notamment déclaré le ministre à la chaîne australienne, tout en ajoutant qu’aucune assistance consulaire n’avait été réclamée par sa famille avant décembre 2010. "Même si le Prisonnier X a été désormais identifié, son crime reste un mystère, même si des mesures aussi extrêmes pourraient indiquer qu’il s’agit d’une affaire de trahison", a précisé Bob Carr.
Pourtant, il semble bel et bien que certains responsables du ministère australien des Affaires étrangères étaient au courant qu’un de leurs ressortissants avait été incarcéré en Israël en 2010, affirme le quotidien britannique Guardian. Ces fonctionnaires n’ont pour autant pas jugé utile de transmettre l’information à leur hiérarchie. "Les Australiens sont des recrues idéales pour le Mossad. (...) Les Australiens sont généralement considérés à l’étranger comme innocents", explique à ABC Warren Reed, ancien agent pour l’agence australienne des renseignements extérieurs (ASIS).
D’après l’agence australienne des renseignements intérieurs, le Mossad a pour habitude de recruter des juifs australiens à qui il donne des noms à consonance plus anglaise pour ainsi faciliter leur voyage dans des pays arabes ou en Iran. L’affaire du "Prisonnier X" rappelle étrangement celle de l’emprisonnement secret par Israël pendant plus de dix ans de Marcus Klingberg, un espion du KGB, détenu sous un faux nom jusqu’à sa libération en 2003.
Outre l’agitation des médias israéliens, la révélation du sort de Ben Zygier a en tout cas provoqué le courroux d’ONG de défense des droits de l’homme. Interrogé par la chaîne ABC, Bill Van Esveld, chercheur à Human Rights Watch, a indiqué que ce cas soulevait des questions sur les droits fondamentaux des prisonniers détenus en Israël. "La principale préoccupation est qu’une personne ne peut tout simplement disparaître. Ceci est contre les normes du droit international", a-t-il insisté.
Protestant contre le silence médiatique imposé sur l’affaire en juin 2010, après la suppression de l’article sur le site internet du Yedioth Aharonoth, l’Association pour les droits civils en Israël avait reçu du bureau du procureur général d’Israël la réponse suivante : "La mesure actuelle est vitale afin de prévenir à une atteinte grave à la sécurité de l’État."

(13-02-2013 - Armin Arefi)

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