En ce dimanche matin, Sidi Bou Saïd est parcouru de rumeurs. "C’est
une cigarette qui a fait ça ?" demande une fillette. "Ce sont des
salafistes", crie une femme voilée. "Non, c’est Ennahda", accuse, sans
sourciller, un homme. Dans ce petit village touristique perché sur une
colline à une vingtaine de kilomètres de Tunis, les rumeurs vont bon
train. La veille au soir, le mausolée de Sidi Bou Saïd, adossé à la
mosquée principale du village et datant du XIIIe siècle, a été incendié.
Une partie du lieu de culte destinée aux femmes a aussi été victime des
flammes.
Samedi, vers 18 heures, Ramzi, qui vit à quelques pas du mausolée, a
aperçu une lueur "inhabituelle". "Je suis sortie et j’ai vu la gardienne
du mausolée en train de crier et de pleurer. Elle essayait d’éteindre
le feu avec un seau d’eau", raconte-t-il en montrant sur son téléphone
portable l’appel d’urgence passé vers 18 h 30. La police et les pompiers
sont rapidement arrivés sur les lieux, assure ce commerçant, qui a
baissé le rideau ce dimanche. À 41 ans, Ramzi a toujours vécu à Sidi Bou
Saïd "avec les touristes", sourit-il. Surplombant la baie de Tunis, ce
village aux maisons blanc et bleu est un site incontournable pour les
touristes. "Cette année a été très mauvaise. Et avec ça, ils vont tout
annuler maintenant", craint-il.
Corans, tentures, boiseries, lustres, tout est parti en fumée. Le
tombeau blanc est totalement noirci. "Ceux qui ont fait ça ne craignent
pas Dieu, ce n’est pas possible", souffle Ramzi. Sous ses yeux, quelque
deux cents personnes sont venues constater les dommages dans la matinée,
alors qu’une odeur de brûlé pique toujours le nez. Certains murmurent
avoir vu une personne "lancer quelque chose". D’autres évoquent quatre
individus. L’enquête se poursuit.
L’acte a été condamné par le président de la République. "Nous
privilégions la piste criminelle. Nous n’avons pas encore identifié de
suspects. Nous suivons plusieurs pistes", déclare Ali Larayedh, le
ministre de l’Intérieur, sur place vers 14 heures sans donner plus de
détails. À ses côtés, le ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk, se fait
discret. "Nous condamnons cet acte de barbarie", dit-il, sans s’étendre.
La veille au soir, alors qu’il venait constater les dégâts, il a été
"dégagé" par les habitants. Vers 22 heures, les villageois se sont
dirigés vers le palais présidentiel, à Carthage. Ils ont été rejoints
par les habitants d’autres villes. Certains criaient et s’énervaient,
d’autres pleuraient.
"Cela me fait mal au coeur. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des
gens ont fait ça. C’est notre histoire, notre culture, notre
patrimoine", s’interroge Youssef, qui vit en bas du village. Des
étendards bleu et rose sont sortis par les membres de la confrérie de
Sidi Bou Saïd arrivés sur les lieux. Des chants soufis (islam
maraboutique, considéré comme un islam populaire) sont entonnés par la
foule au rythme des tambours et des youyous. Des femmes entrent en
transe devant le bâtiment calciné. La foule prend alors la direction de
Carthage. Et le cortège gonfle à mesure qu’il s’approche du palais
présidentiel. La rue qui mène à la résidence de Moncef Marzouki est
bloquée par la garde présidentielle et la police. "Ne sors pas de ta
maison, président, sans décision !" préviennent les quelque trois cents
personnes. Une délégation a été reçue par le président de la République.
"L’Unesco s’inquiète de plus en plus", soutient, accroché à son
téléphone, Zoubeir Mouhli. Il est un des responsables de l’association
de sauvegarde de la médina de Tunis. Sidi Bou Saïd est inscrit au
patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. En contact avec
l’organisation internationale, mais aussi avec l’Organisation des villes
de patrimoine mondial, Zoubeir se déclare "indigné. Il faut arrêter ce
fléau. De Tombouctou à Alep, en passant par Tunis, c’est tout le
patrimoine arabo-musulman qui est en danger." En Tunisie, depuis
quelques mois, plus d’une dizaine de mausolées soufis ont été la cible
d’attaques. Certains ont été endommagés, comme celui de Sidi Yacoub à
Gabès. D’autres incendiés, comme celui de Saïda Manoubia à La Manouba en
octobre.
"Les wahhabites veulent détruire nos sites religieux", soutient Lotfi. À
21 ans, ce jeune soufi, portant une jebba (habit traditionnel tunisien)
et une chéchia rouge brique (couvre-chef en laine), rappelle que "les
soufis ont rejeté le wahhabisme d’Arabie saoudite à travers une lettre".
"Le wahhabisme nous déclare la guerre", surenchérit Ahmed, professeur
de médecine, qui porte un drapeau tunisien autour du cou. En 1920, sa
grand-mère était la gardienne de Sidi Abdelaziz El Mahdi, situé à La
Marsa. Ce mausolée a été incendié le 10 janvier. "Ce sont deux
conceptions de l’islam sunnite qui s’affrontent. C’est à l’Arabie
saoudite de dénoncer ces actes si on veut que cela s’arrête", estime un
habitant de Sidi Bou Saïd qui souhaite garder l’anonymat.
Raouf Dakhlaoui, le maire de la ville, envisage de porter plainte contre
Rached Ghannouchi, président du parti Ennahda, qu’il accuse d’être
"l’instigateur de cette campagne". "C’est lui qui couvre les
extrémistes", affirme-t-il. Ce dimanche, à 19 heures, une veillée est
prévue à Sidi Bou Saïd.
(13 janvier 2013 - Julie Schneider )
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