Des dizaines de corps brûlés dans un double attentat-suicide à la
voiture piégée, devant le siège des services de sécurité de l’armée de
l’air, près de Damas. La veille, c’était le quartier général de la
police qui était visé par une attaque. Les images de ces attentats,
devenus quasiment quotidiens en Syrie, ne sont pas sans rappeler la
tragédie irakienne. Le régime syrien, qui ne cesse depuis le début de la
révolte populaire d’accuser des "groupes terroristes" de vouloir semer
le chaos dans le pays, aurait-il raison ? Ces attaques ne seraient
pourtant pas l’oeuvre des déserteurs de l’Armée syrienne libre (ASL),
engagée depuis un an dans une lutte sans merci contre le pouvoir syrien.
Le double attentat de Damas a été revendiqué lundi soir par le Front
al-Nosra (Front de défense du peuple syrien), un groupe djihadiste lié à
al-Qaida, qui affirme être derrière la majorité des attaques ciblant
depuis un an les intérêts du régime. Selon le communiqué du groupe,
publié sur Facebook, "un véhicule bourré de neuf tonnes d’explosifs
(...) a détruit l’immeuble" des services de renseignement puis un autre
kamikaze "a fait sauter (une) ambulance transportant une tonne
d’explosifs qu’il conduisait pour détruire le reste de ce siège et tuer
les survivants".
Fondée en septembre 2011, juste après le massacre de Hama,
l’organisation réunit exclusivement des Syriens qui se réclament de la
mouvance salafiste djihadiste. "Spécialisée dans les
opérations-suicides, elle se focalise sur la colonne vertébrale du
régime syrien : les renseignements militaires", souligne l’islamologue
Mathieu Guidère (1). Le groupe, qui ne compterait pas plus de quelques
centaines de membres, se démarque en ce sens des autres déserteurs de
l’Armée syrienne libre, dont il fustige l’inefficacité.
"S’ils visent systématiquement des cibles militaires, ils frappent
des zones habitées et infligent d’importants dommages collatéraux chez
les populations civiles", précise Thomas Pierret (2), maître de
conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg.
"Contrairement aux autres groupes, ils n’arborent pas le drapeau de la
révolution syrienne, mais celui, noir à calligraphies blanches, symbole
du djihadisme mondial. Ce genre d’attaques-suicides leur apporte une
certaine visibilité ainsi qu’un prestige, plus important que leur force
réelle", ajoute le spécialiste
Face à l’absence de réponse internationale au drame syrien, cette
aide inespérée apportée à la révolution syrienne impressionne. "Ainsi,
le Front al-Nosra peut espérer recruter d’autres combattants au sein de
la population", note Thomas Pierret. "Leur grande force, c’est qu’ils
n’ont pas peur de mourir", assure à l’AFP Jamal Addine Ibrahim, chef
d’une brigade de l’ASL à Alep. "L’autre jour, nous étions sous le feu
d’un sniper. Un moudjahid a foncé à découvert jusqu’au pied de
l’immeuble, est rentré dedans et l’a abattu. Aucun de mes hommes ne peut
faire ça. Je viens ici pour mourir, a-t-il dit en riant", ajoute le
responsable rebelle.
"Le Front al-Nosra est fabriqué par le régime syrien lui-même, pour
diaboliser l’Armée syrienne libre", assure, au contraire, Fahad
al-Masri, porte-parole du commandement conjoint de l’Armée syrienne
libre de l’intérieur. "Le régime syrien a libéré 5 000 prisonniers, en
majorité des membres d’al-Qaida et du parti Al-Tahrir, à condition de
collaborer avec lui", ajoute le porte-parole. De là à viser ses propres
services de sécurité ? "Déjà affaibli, ce régime est prêt à tout pour
diaboliser la révolution", souligne Fahad al-Masri.
Outre le Front
al-Nosra, les Syriens ont récemment vu émerger sur d’autres combattants,
cette fois étrangers.
"Des salafistes armés sont arrivés en provenance du Maghreb, du
Pakistan et de l’Afghanistan, pour mener le djihad", affirme Mathieu
Guidère. Parmi eux figureraient également des djihadistes français.
Réunis par nation au sein de "sections" d’environ 80 personnes, ils
seraient aujourd’hui 3 000. Un nombre toutefois minime face aux 350 000
soldats de l’armée syrienne, et au 30 000 combattants de l’ASL. Si les
déserteurs bénéficient de livraisons limitées d’armes, de la part du
Qatar et de l’Arabie Saoudite, ce n’est pas le cas des djihadistes.
"L’Arabie saoudite ne soutient que ceux qui s’inscrivent dans un
cadre national syrien, souligne Thomas Pierret. Le rêve saoudien serait
de favoriser en Syrie l’émergence d’un régime militaire, sunnite et
conservateur, pour ainsi garantir le statu quo dans la région." Le
royaume Saoud n’a pas oublié qu’il y a dix ans à peine il était secoué
par la menace djihadiste. "Le royaume craint que, s’il renaît en Syrie,
le djihad global n’atteigne vite Riyad." "Le cas Ben Laden leur a servi
de leçon", renchérit de son côté Mathieu Guidère. Toutefois, d’après
l’islamologue, l’intérêt de l’Arabie saoudite se situerait surtout dans
la guerre par procuration qu’il mène contre l’Iran.
"L’axe sunnite Arabie saoudite-Qatar-Turquie affronte en Syrie l’axe
chiite composé par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, explique
l’islamologue. Le but de Riyad est d’attirer ses adversaires en
territoire syrien." Et cela fonctionne. Le soutien total de Téhéran à
son seul allié arabe de la région ne fait plus aucun doute. Livraisons
massives d’armes, envoi de forces terrestres, soutien logistique et
formation des soldats, la République islamique met tout en oeuvre pour
ne pas voir se briser 30 ans de politique étrangère. Elle a récemment
enregistré le soutien de combattants chiite en provenance du Liban.
"Nous avons capturé 13 soldats libanais du Hezbollah à Homs, affirme
Fahad al-Masri. Ils ont été profondément embrigadés et croient
réellement à un complot en Syrie." D’autre part, l’ASL détient toujours
les 48 officiers iraniens, appartenant à la brigade al-Qods des Gardiens
de la révolution (armée idéologique de Téhéran, NDLR), qu’elle avait
capturés en août à Damas. "Nous refusons de libérer ces Iraniens avant
de définir nos conditions, prévient le porte-parole de l’ASL. Si les
Iraniens ne les appliquent pas, certains de leurs compatriotes, qui
assassinent notre peuple, vont bientôt décrocher leur passeport pour
l’enfer."
(10 Octobre 2012 - Armin Arefi)
(1) Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université de Toulouse-II, auteur de Printemps islamiste (éditions Ellipses).
(2) Thomas Pierret, auteur de Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas (PUF, 2011).
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